Environnement
L’AEI : une vision de l’agriculture qui fait son chemin
Les 1ers entretiens pour l’Agriculture écologiquement intensive ont eu lieu à Angers.
Agriculture écologiquement intensive : ces termes peuvent sembler contradictoires, si on met en opposition, une agriculture intensive et des modes de production respectueux de leur milieu. Pourtant, ce concept fait son chemin depuis une quinzaine d’années, porté notamment par Michel Griffon, président de l’association internationale pour l’Agriculture écologiquement intensive (AEI). Son émergence est liée au constat suivant : l’agriculture devra, dans les prochaines décennies, nourrir une popu-lation mondiale en forte croissance, tout en préservant l’environnement (donc les capacités de produire dans le futur), et à des prix accessibles. Ce défi pourra être relevé à condition de prendre en compte le fonctionnement des écosystèmes pour améliorer leur rendement. Ce qui suppose de mieux connaître et pouvoir utiliser des processus naturels, pour adapter les méthodes de production à chaque région du monde. « L’observation du vivant est un
gisement de connaissances et d’inspiration pour créer du progrès technique », affirme Michel Griffon.
Mais comment traduire ce concept en actions concrètes au niveau des exploitations, et de façon économiquement pérenne ? Les ateliers thématiques développés lors des entretiens de l’AEI permettent de percevoir des pistes de travail. Elles sont nombreuses, et concernent tous les aspects de la production (fertilité des sols, alimentation animale, protection des plantes, irrigation, énergie). Ces voies d’évolution questionnent aussi bien le fonctionnement technique de l’exploitation, que leur rémunération (doit-on payer les agriculteurs pour des services écologiques ?) et le modèle de création et de transfert de connaissances techniques.
Quelques exemples sont déjà largement mis en œuvre dans le domaine de la protection des plantes : contrôle des ravageurs des cultures maraîchères et arboricoles par des auxiliaires, utilisation de phéromones, allongement des rotations pour réduire la pression des adventices et maladies. D’autres voies sont encore au stade expérimental. Par exemple, dans le domaine de l’énergie, la démarche “Grignon énergie positive” a pour objectif d’améliorer, à l’échelle d’une exploitation, le bilan énergétique et réduire l’émission des gaz à effet de serre. Pour cela, plusieurs scenarii de modification du
système de production ont été testés sur un cas réel, en considérant à la fois la rentabilité de l’exploitation, son impact énergie et climat, et la quantité totale d’alimentation produite. Dans le cas de cette exploitation de région parisienne en polyculture élevage, le meilleur compromis a été d’introduire d’un mélange de triticale et pois protéagineux dans l’assolement et de modifier la ration des laitières. D’autres études sont en cours sur une douzaine de fermes, pour compléter les références et affiner la démarche de diagnostic.
Une démarche commune
Au-delà de ces initiatives, deux idées essentielles peuvent être retenues. D’abord, le développement de l’AEI implique une évolution globale et cohérente des exploitations de façon à optimiser l’utilisation des ressources : choix de l’assolement, protection des plantes, alimentation animale, gestion de l’eau et de l’énergie, gestion du foncier ne peuvent pas être dissociés. Deuxièmement, l’AEI ne pourra se concrétiser que par la mobilisation collective des connaissances que les agriculteurs ont des écosystèmes, dans une démarche commune avec les scientifiques et techniciens, et de façon à adapter les techniques au contexte local. Un défi pour les agriculteurs, mais aussi pour la recherche et le développement agricole.
MARIE CALMEJANNE
Débats
L’échange et le dialogue pour une agriculture écologiquement intensive
Quels obstacles franchir et quels leviers actionner pour développer l’AEI, l’agriculture écologiquement intensive ? La question venait tout naturellement se poser, à l’heure de conclure les premiers entretiens, qui se tenaient à Angers, la semaine dernière. Les différentes interventions, les diverses initiatives évoquées laissent à penser que la démarche est en bonne voie. Qu’elle est déjà dans les têtes et aussi sur le terrain (voir ci-dessus). Le succès et l’audience de ces premières journées appelées, Michel Griffon le laissait entendre en conclusion, à se renouveler l’an prochain, permettent de le laisser penser. Tous les propos, alors que chacun s’accorde à dire que l’autonomie alimentaire ne saurait être galvaudée, trouvent des résonances dans la plupart des systèmes en vigueur et le dénominateur est commun : la mission de l’agriculture reste, à l’instar du livre de Bruno Parmentier, de « Nourrir l’humanité ». Alors que la question de la qualité est résolue, du moins pour une partie du monde, se pose aujourd’hui la question de savoir comment. Avec quels moyens techniques ? En plaçant qui et quoi au centre des préoccupations. Et c’est là que le concept d’agriculture écologiquement intensive élaboré par Michel Griffon trouve toute sa pertinence. Elle est en passe de devenir une considération transversale qui s’enrichira par l’échange. « L’AEI est l’enfant du dialogue », relevait Christiane Lambert qui intervenait au titre de vice-présidence de la Chambre d'agriculture de Maine-et-Loire. Une Chambre d'agriculture engagée depuis plusieurs années dans la voie du développement durable. Ceci dit, les étapes se franchiront petit à petit et sans doute faudra-t-il déployer pas mal de pédagogie pour faire adopter ces nouvelles idées, pour vaincre les réticences et les habitudes. Sans doute faudra-t-il déployer de nouveaux moyens techniques et humains et trouver l’oreille des pouvoirs publics pour soutenir la démarche. Pour Michel Griffon, l’association internationale pour une agriculture écologiquement intensive, qu’il préside, « accompagne ce mouvement porteur d’espoir pour le monde agricole qui pourra à la fois assurer sa mission et trouver, par ses pratiques, la voie de la réconciliation avec la société ».
M.L.-R.