Mobilisation
Paris au rythme du tracteur agricole
Les producteurs français de grandes cultures ont réussi leur pari. Plus de 1 500 tracteurs et quelque 11 000 manifestants ont défilé dans les rues de la capitale le 27 avril.

Ils ont défilé de 10 heures à près de 16 heures.
Il est 11 heures, Paris tressaille aux klaxons du tracteur agricole… Le 27 avril, plus de 1 500 tracteurs et plus de 11 000 manifestants agriculteurs ont étonné et interpellé Parisiens et touristes, en défilant sirènes hurlantes sous le soleil, à grands renforts de klaxons et de pétards mais dans le calme, de la Place de la Nation jusqu’à République, en passant par la Place de la Bastille. Organisé par les FRSEA, et soutenu par la FNSEA et Jeunes agriculteurs (JA) pour défendre les producteurs de grandes cultures confrontés à un effondrement des prix pour la deuxième année consécutive, ce défilé de tracteurs à Paris, massif et historique, aura marqué fortement les esprits… Jusqu’à l’exécutif ? « Fauchés comme les blés » arboraient en guise de slogan du jour les tee-shirts des manifestants.
Changer la Pac
Les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy renvoyant en décembre prochain les conclusions du comité de suivi des céréales, instauré après le bilan de santé de la Pac début 2009, ont décidé les agriculteurs à monter sur Paris. D’autant que leurs charges d’exploitation n’ont cessé d’augmenter depuis plusieurs campagnes.
Face à une conjoncture très morose des cours des céréales et des oléoprotéagineux, la réorientation d’une partie des aides Pac vers l’élevage, nécessaire pourtant, a, du coup, davantage de mal à passer. L’accord passé avec le ministre de l’Agriculture de l’époque, Michel Barnier, consistait en un déclenchement rapide de mesures compensatoires en cas de baisse durable des cours. Or « décembre prochain » c’est bien trop loin, ont klaxonné les producteurs de grandes cultures pendant quatre heures sur les pavés de Paris.
Alors que leur revenu est en chute, le président de l’association de producteurs de grandes cultures Orama, Philippe Pinta, a martelé à l’issue du défilé qu’il fallait « des réponses rapides et concrètes » de la part du gouvernement. Jean-Michel Lemétayer, de son côté, attend aussi « les suites et les décisions gouvernementales » pour « toutes les productions agricoles » qui vivent « une situation extrêmement grave », a-t-il rappelé, avant de lancer aux manifestants qu’il fallait en premier lieu « changer cette Pac qui met en avant la dérégulation et non la régulation des marchés », source de forte volatilité des prix.
Les producteurs de grandes cultures demandent d’ailleurs au gouvernement la mise en œuvre d’une véritable gestion des marchés des grandes cultures via un déblocage des restitutions à l’exportation et
une révision de l’intervention par exemple. De manière plus générale, selon le président des Jeunes agriculteurs, William Villeneuve, « il manque une vision stratégique pour notre agriculture qui a besoin de visibilité et de stabilité sur les prix, au travers d’une meilleure gestion des marchés ».
Moins de charges…
Les producteurs de grandes cultures réclament en outre un allègement des charges environnementales en supprimant par exemple la BCAE (Bonne condition agro-environnementale) « maintien des éléments topographiques », mais aussi celui des charges fiscales et sociales via notamment une exonération totale et généralisée de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB). De plus, concernant le fret, Orama, comme d’autres productions agricoles, attend le passage du poids roulant total en France à 44 tonnes au lieu de 40, promis il y a quatre ans par
Dominique Bussereau, un autre ex-locataire de la rue de Varenne ; il s’agit de mettre fin à une lourde distorsion de concurrence par rapport aux partenaires commerciaux européens de la France.
Enfin, le secteur des grandes cultures réclame des mesures d’accompagnement telles que la garantie des 25 €/ha de la mesure « diversité des assolements » pour 2010, quelles que soient les surfaces contractualisées, et sa reconduction en 2011 et 2012 ; ou encore le versement anticipé des aides Pac au 16 octobre 2010.
Le même jour, le ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire, a affirmé qu’il comprenait le désarroi des agriculteurs, les appelant à ne « pas perdre espoir ». Il s’est dit prêt à les recevoir les jours suivant la manifestation. « L’Appel de Paris », selon les mots de Jean-Michel
Lemétayer, doit de toutes les manières être entendu par le chef de l’État, s’impatiente déjà la profession agricole.
Benjamin Rosier
Interview
« Nous voulons des réponses rapides et concrètes »
Dominique defay, président de la section grandes cultures FRSEA.
Êtes-vous satisfaits de la manifestation de mardi à Paris ?
Cette manifestation est une réussite : 1 500 tracteurs et plus de 10 000 manifestants à pied se sont rendus à Paris, malgré la distance et la période de travaux et d’irrigation. Autant de tracteurs dans Paris, c’est du jamais vu.Au-delà de notre mobilisation, tout s’est bien déroulé, sans heurt ni casse. Nous sommes allés montrer notre colère certes, mais dans le calme, pour donner une image positive et réaliste de l’agriculture aux Parisiens. Cette mobilisation est bien l’expression du mal-être et des difficultés rencontrées par les producteurs de grandes cultures. On peut quasiment dire maintenant que les revenus de l’année seront faibles, voire négatifs, pour les producteurs céréaliers. Si rien n’est fait, si les marchés ne se redressent pas, la campagne à venir s’annonce désastreuse d’un point de vue économique. D’où nos revendications lors de cette manifestation : soutien de l’exportation pour assainir le marché, réduction des charges environnementales, qui rendent notre agriculture improductive.
Comment envisagez-vous la suite des événements ?
Il est certain que cette action a montré à l’État que les agriculteurs sont à bout et plus que jamais mobilisés. Mais on ne mesurera concrètement son résultat que dans les semaines qui viennent, avec les mesures qui seront annoncées par Bruno Lemaire. Cette action ne sera totalement réussie que si des suites y sont données. Tous les départements des Pays de la Loire, font partie des zones intermédiaires dans lesquelles nos exploitations sont encore moins compétitives que dans les autres départements français. À partir du moment où le gouvernement nous inflige des charges qui entraînent un prix de revient élevé, il doit s’engager à nous aider pour que nos prix de vente soient également élevés. Nous voulons des réponses rapides et concrètes. Derrière cette action grandes cultures, c’est aussi l’ensemble des filières qui est amené à se mobiliser. Si la situation ne s’améliore pas très vite pour l’ensemble des agriculteurs, il est probable que nous retournerons manifester d’ici la fin de l’année.
Recueilli par Carole d’Halloy