Interview d'Emmanuel Hyest : “Réguler le foncier pour maintenir le dynamisme des territoires"
Avant le congrès des 6 et 7 décembre à La Baule (44),
Emmanuel Hyest*, président de la FNSafer, expose sa conception d’un foncier agricole mieux protégé et mieux régulé.
Comment mieux protéger le foncier agricole face à l’artificialisation des terres ?
Emmanuel Hyest : la protection du foncier est plus que jamais indispensable. La France a consommé plus de 4 millions d’hectares depuis une cinquantaine d’années, c’est énorme. La protection du foncier n’est pas un enjeu corporatiste, elle concerne l’ensemble de la société, car le foncier agricole est la base de l’autonomie alimentaire du pays. Il est aussi, et il n’est pas inutile de le rappeler vu les problèmes liés au changement climatique, un réceptacle pour l’eau. Certes, il y a des mesures et une prise de conscience des pouvoirs publics, mais on voit bien que dès que l’économie du pays fonctionne mieux, on recommence à consommer du foncier. La pression reste forte. 55 000 ha ont encore été artificialisés en France en 2017.
Jusqu’où aller dans cette protection du foncier ?
Il faut mettre le foncier sous la protection de la nation. Nous avons réussi en France à protéger les forêts de manière importante depuis cinquante ans et je voudrais que les terres agricoles bénéficient du même type de protection. Si l’on veut poursuivre une politique publique d’installation des jeunes agriculteurs, il faut protéger les terres. Et si l’on veut, pour répondre à une demande sociétale forte, développer une agriculture de proximité, il est aussi nécessaire de protéger les espaces agricoles près des villes. Beaucoup d’élus pensent encore que le développement économique est synonyme de prise de terres agricoles. Et le paradoxe, c’est qu’il est souvent plus facile de faire prendre conscience de ces enjeux aux élus des grands centres urbains qu’à ceux des petites communes.
Protéger, mais aussi réguler les transactions foncières. Le thème du congrès portera sur la régulation foncière au service de la dynamique des territoires. Qu’attendez-vous de la future loi foncière en ce domaine ?
Il nous semble indispensable que la loi foncière soit mise en discussion en 2019. Aujourd’hui, près d’un cinquième du marché du foncier, sous forme de ventes de parts sociales et d’actions, échappe à la régulation. Cela menace le modèle familial caractérisé par une maîtrise de l’acte de production. Nous ne nous opposons pas aux sociétés agricoles, mais nous remettons en cause l’utilisation de sociétés aux fins de déroger aux règles des structures. Une des questions qui sera posée au congrès est celle-ci : est-il légitime que des gens dont les sociétés sont cotées au Cac 40 et qui reprennent des sociétés agricoles, bénéficient d’une fiscalité avantageuse ?
Le travail à façon nous pose problème car il est lui aussi en dehors de toute régulation.
Nous souhaitons avant tout que la loi foncière permette de retrouver une transparence dans l’ensemble des opérations. Sans quoi, les installations hors cadre familial n’existeront plus, dans la mesure où une grande partie de ces installations se font via la Safer. L’accaparement des terres et la concentration des exploitations pose des problèmes de pérennité de certaines filières, avec une perte de valeur ajoutée et d’emplois et même de biodiversité.
Propos recueillis par S.H.
*Exploitant agricole en polyculture et transformation cidricole à Vesly, dans l’Eure.