Économie
Jean-Paul Delevoye : “L’agriculture doit devenir une cause à défendre”
Économie
Le président du Conseil économique, social et environnemental sera à l’Ésa d’Angers, mercredi 18 avril, pour présenter ses réflexions et débattre avec les agriculteurs.
Âgé de 65 ans, ancien parlementaire et ministre, maire d’une commune du Pas-de-Calais, Jean-Paul Delevoye a été médiateur de la République de 2004 à 2011. Il préside le CESE depuis 2010.
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CESE
Vous avez décidé d’écrire un livre dont le titre “Reprenons-nous”, éveille et interpelle. Vous indiquez que c’est l’écho reçu lors de la présentation de votre dernier rapport en tant que médiateur de la République, où vous parlez d’une société “fragmentée, en tension, fatiguée psychiquement”, qui vous a convaincu que des mots devaient être mis sur cette situation préoccupante. Que vous ont appris ces cinq ans à la médiature ?
Jean-Paul Delevoye : J’ai pris l’habitude de dire que la médiature m’a amené à réviser en partie mes convictions philosophiques en découvrant une violence dans les rapports humains que je sous-estimais. De Rousseauiste, je suis devenu Hobbesien*. Et les faits, les témoignages, les dossiers souvent douloureux des personnes, m’ont fait poser quelques constats assez perturbants. Nous sommes dans une société de droit où les gens méconnaissent leurs droits, où le droit censé protéger le faible du plus fort donne l’impression de devenir non plus un bouclier mais une arme de plus à qui dispose de temps, de relations, d’argent, de connaissances.
Nous vivons dans une société de communication où, en cas de pépin, il est très difficile de trouver la bonne information au bon moment au bon endroit, où l’on se parle de plus en plus et l’on s’écoute de moins en moins. Dans une société qui revendique un discours et des politiques publiques d’inclusion mais installe, notamment par ses normes et ses cases, des mécaniques d’exclusion et place les gens devant leurs échecs et non devant leurs potentialités.
Dans une République où le consommateur a pris le pas sur le citoyen, où les institutions entrent en concurrence avec des systèmes parallèles qui promettent aux personnes une réussite économique facile et un statut social lorsque de plus en plus vivent la précarité et craignent de devenir invisibles aux yeux des autres.
Après un tel état des lieux, comment rester optimiste ? Y a-t-il une méthode pour faire partager des enjeux de réforme et retrouver le sens du collectif ?
Bien sûr qu’il faut rester optimiste. Encore faut-il poser le bon diagnostic et ouvrir les yeux sur une société qui a complètement changé mais que l’on continue de piloter avec les outils d’hier et une grille de lecture d’avant-hier. Or aujourd’hui on demande à la société de s’adapter au système et non au système de s’adapter à la société. Il nous faut abandonner le confort de nos certitudes et de la défense de nos intérêts personnels, catégoriels, corporatistes pour envisager une réussite collective. Je répète souvent cette phrase d’Élie Wiesel : “En rentrant de l’école ma mère ne me demandait jamais : as-tu bien répondu mais as-tu posé la bonne question ?”. On s’aperçoit hélas, qu’actuellement on élude les vrais débats car ils sont réputés trop sensibles et qu’on choisit les questions en fonction des réponses que l’on souhaite. En terme électoral, par exemple.
Vous évoquez cinq chantiers prioritaires pour la République. Quels en sont les enjeux ?
Le CESE mène actuellement une réflexion sur ces chantiers prioritaires pour l’avenir de notre pays, de l’Europe et de la planète. Nous voulons faire du CESE une “Assemblée du temps long” pour conseiller les décideurs politiques et économiques soumis à la dictature de l’urgence et du court terme et penser les transitions et les accompagnements nécessaires vers cette nouvelle société.
À titre personnel, je vois cinq grands défis : les nouvelles croissances via les croissances vertes, l’économie de l’immatériel et du numérique. L’éducation qui est en difficulté sur l’acquisition des savoirs fondamentaux, l’appren-tissage du vivre ensemble et de la citoyenneté, la formation aux emplois de demain. L’intégration, car aucun pays n’est capable d’avoir un débat apaisé sur cette question actuellement alors que l’UE aura besoin de 50 millions d’immigrés pour équilibrer sa population active dans les 50 prochaines années. Le vieillissement de la population, qui pose la question des solidarités intergénérationnelles. Enfin, le défi de la compétitivité française, pour lequel Isabelle de Kerviler a récemment rendu un remarquable avis voté à l’unanimité par les membres du CESE, syndicats salariés et patronaux compris.
Vous serez en Anjou mercredi pour présenter vos réflexions et débattre avec des agriculteurs et des acteurs socio-économiques du département. Quelle contribution le monde agricole et rural peut apporter à la réussite de ces cinq chantiers d’avenir ?
L’agriculture est face à un défi majeur : avec 9 milliards d’individus à nourrir en 2050, la production mondiale devra augmenter de 70 %, le tout avec moins d’eau, moins d’engrais et de pesticides et moins de terres arables en raison de l’urbanisation croissante. Les Chinois sont en train d’acquérir actuellement en Afrique des millions d’hectares afin d’assurer leur indépendance alimentaire. En parallèle, la volatilité des prix des matières premières et agricoles rend nos économies vulnérables et certaines sociétés sous risque d’implosion en cas de hausse même légère du prix du blé. La solution préconisée par tous depuis 50 ans est l’Europe, mais la concurrence intra-européenne est aujourd’hui réelle et la Pac est de plus en plus remise en question.
L’agriculture doit devenir une cause à défendre et peut devenir l’exemple même d’une mobilisation collective, s’appuyant sur un soutien de l’opinion acquis par une pédagogie des enjeux. Sinon, c’est le choc des intérêts personnels, catégoriels, corporatistes où, tour à tour, les uns et les autres remporteront une victoire sur fond de défaite collective.
Jean-Paul Delevoye : J’ai pris l’habitude de dire que la médiature m’a amené à réviser en partie mes convictions philosophiques en découvrant une violence dans les rapports humains que je sous-estimais. De Rousseauiste, je suis devenu Hobbesien*. Et les faits, les témoignages, les dossiers souvent douloureux des personnes, m’ont fait poser quelques constats assez perturbants. Nous sommes dans une société de droit où les gens méconnaissent leurs droits, où le droit censé protéger le faible du plus fort donne l’impression de devenir non plus un bouclier mais une arme de plus à qui dispose de temps, de relations, d’argent, de connaissances.
Nous vivons dans une société de communication où, en cas de pépin, il est très difficile de trouver la bonne information au bon moment au bon endroit, où l’on se parle de plus en plus et l’on s’écoute de moins en moins. Dans une société qui revendique un discours et des politiques publiques d’inclusion mais installe, notamment par ses normes et ses cases, des mécaniques d’exclusion et place les gens devant leurs échecs et non devant leurs potentialités.
Dans une République où le consommateur a pris le pas sur le citoyen, où les institutions entrent en concurrence avec des systèmes parallèles qui promettent aux personnes une réussite économique facile et un statut social lorsque de plus en plus vivent la précarité et craignent de devenir invisibles aux yeux des autres.
Après un tel état des lieux, comment rester optimiste ? Y a-t-il une méthode pour faire partager des enjeux de réforme et retrouver le sens du collectif ?
Bien sûr qu’il faut rester optimiste. Encore faut-il poser le bon diagnostic et ouvrir les yeux sur une société qui a complètement changé mais que l’on continue de piloter avec les outils d’hier et une grille de lecture d’avant-hier. Or aujourd’hui on demande à la société de s’adapter au système et non au système de s’adapter à la société. Il nous faut abandonner le confort de nos certitudes et de la défense de nos intérêts personnels, catégoriels, corporatistes pour envisager une réussite collective. Je répète souvent cette phrase d’Élie Wiesel : “En rentrant de l’école ma mère ne me demandait jamais : as-tu bien répondu mais as-tu posé la bonne question ?”. On s’aperçoit hélas, qu’actuellement on élude les vrais débats car ils sont réputés trop sensibles et qu’on choisit les questions en fonction des réponses que l’on souhaite. En terme électoral, par exemple.
Vous évoquez cinq chantiers prioritaires pour la République. Quels en sont les enjeux ?
Le CESE mène actuellement une réflexion sur ces chantiers prioritaires pour l’avenir de notre pays, de l’Europe et de la planète. Nous voulons faire du CESE une “Assemblée du temps long” pour conseiller les décideurs politiques et économiques soumis à la dictature de l’urgence et du court terme et penser les transitions et les accompagnements nécessaires vers cette nouvelle société.
À titre personnel, je vois cinq grands défis : les nouvelles croissances via les croissances vertes, l’économie de l’immatériel et du numérique. L’éducation qui est en difficulté sur l’acquisition des savoirs fondamentaux, l’appren-tissage du vivre ensemble et de la citoyenneté, la formation aux emplois de demain. L’intégration, car aucun pays n’est capable d’avoir un débat apaisé sur cette question actuellement alors que l’UE aura besoin de 50 millions d’immigrés pour équilibrer sa population active dans les 50 prochaines années. Le vieillissement de la population, qui pose la question des solidarités intergénérationnelles. Enfin, le défi de la compétitivité française, pour lequel Isabelle de Kerviler a récemment rendu un remarquable avis voté à l’unanimité par les membres du CESE, syndicats salariés et patronaux compris.
Vous serez en Anjou mercredi pour présenter vos réflexions et débattre avec des agriculteurs et des acteurs socio-économiques du département. Quelle contribution le monde agricole et rural peut apporter à la réussite de ces cinq chantiers d’avenir ?
L’agriculture est face à un défi majeur : avec 9 milliards d’individus à nourrir en 2050, la production mondiale devra augmenter de 70 %, le tout avec moins d’eau, moins d’engrais et de pesticides et moins de terres arables en raison de l’urbanisation croissante. Les Chinois sont en train d’acquérir actuellement en Afrique des millions d’hectares afin d’assurer leur indépendance alimentaire. En parallèle, la volatilité des prix des matières premières et agricoles rend nos économies vulnérables et certaines sociétés sous risque d’implosion en cas de hausse même légère du prix du blé. La solution préconisée par tous depuis 50 ans est l’Europe, mais la concurrence intra-européenne est aujourd’hui réelle et la Pac est de plus en plus remise en question.
L’agriculture doit devenir une cause à défendre et peut devenir l’exemple même d’une mobilisation collective, s’appuyant sur un soutien de l’opinion acquis par une pédagogie des enjeux. Sinon, c’est le choc des intérêts personnels, catégoriels, corporatistes où, tour à tour, les uns et les autres remporteront une victoire sur fond de défaite collective.