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La Chine aux multiples visages
Les trois dernières décennies ont bouleversé la société chinoise. La Chine est devenue une puissance économique. Mais le fossé reste immense entre les villes, vitrines de la modernité, et les campagnes encore misérables.
«Après les Jeux olympiques, poursuivons nos efforts pour devenir la première Nation du monde ». Partout en Chine on peut voir inscrits sur des banderoles rouges apposées sur les murs, des slogans qui incitent les citoyens à bien travailler pour leur pays. Ceci est en tout cas symptomatique de la course frénétique dans laquelle s’est lancé l’empire du Milieu pour, non seulement, rattraper son retard économique, mais aussi devenir une puissance mondiale sur laquelle le monde devra compter.
Après les années désastreuses de l’ère Mao, c’est à la fin de 1978, il y a trente ans, que Deng Hsiaoping lançait sa politique d’ouverture engageant l’éco-nomie chinoise sur la voie du système capitaliste. Durant ces trois décennies qui ont profondément bouleversé la société, la Chine a connu une croissance de 9 % par an. Le produit intérieur brut par habitant est passé de 380 yuans à 19 000 yuans (un peu plus de 2 000 euros). En 1980, les routes ne connaissaient qu’une circulation sporadique. Aujourd’hui, les voitures remplacent de plus en plus les vélos. Six cents sont vendues chaque jour à Pékin. Et les embouteillages sont monnaie courante sur les autoroutes qui irriguent les gigantesques métropoles.
Urbanisation galopante
Pays autrefois majoritairement agricole et rural, la Chine s’urbanise à grande vitesse. Le bâti traditionnel horizontal est rasé pour laisser la place à des immeubles de plusieurs dizaines d’étages alignés sur des kilomètres le long de larges avenues sans âme. Une classe moyenne chinoise, propriétaire de son appartement, émerge. Le pays se met au diapason de la société de consommation avec le matérialisme pour seul horizon. Les grandes surfaces fleurissent un peu partout. Carrefour possède plusieurs hypermarchés à Pékin.
Les Chinois s’enrichissent, mais très inégalement. Le fossé est immense entre les villes et les campagnes où vivent encore, misérablement, plus de huit cents millions de Chinois. « Je ne peux pas m’arrêter, je ne peux pas être malade, sinon je n’ai plus rien pour vivre », témoigne Yi Daoping, un paysan de la province du Guangxi au sud du pays, qui cultive toujours ses petits lopins de terre à 78 ans.
Le gouvernement chinois semble conscient des risques d’explosion sociale que fait courir cette situation. On ne compte plus les dizaines de millions de ruraux qui viennent travailler dans les villes pour nourrir leurs familles restées au village. Des réformes viennent d’être décidées pour élever le niveau de vie des paysans et stimuler ainsi la consommation intérieure, d’au-tant que le tout exportation qui a été l’unique moteur de l’éco-nomie chinoise subit actuellement un coup de frein, la crise mondiale n’étant sans doute que le révélateur de la limite atteinte par ce système.
Réforme foncière
Les réformes lancées par Deng Hsiaoping il y a trente ans avaient donné aux paysans le droit d’exploiter eux-mêmes leurs terres, mais celles-ci restaient propriété collective. À partir de cette année, ils pourront transférer, sous-traiter et louer ce droit d’usage. On n’en est pas encore à une privatisation réelle, mais le gouvernement espère que cette nouvelle réforme foncière devrait favoriser la concentration des terres et élever la productivité agricole.
Depuis 2007, les paysans ont été exemptés d’impôt et ils devraient aussi bénéficier du système de protection sociale qui doit être mis en place. « Il nous reste un long chemin à parcourir avant de réaliser notre grand but », à savoir une société plus « harmonieuse », a reconnu le président chinois Hu Jintao, célébrant en décembre dernier l’anniversaire de l’ouverture économique du pays. Si la Chine change, le parti communiste ne cesse pas pour autant de diriger le pays d’une main de fer. Hu Jintao a rappelé le rôle essentiel du parti dans cette évolution.
La censure politique reste de règle. Les libertés, autres qu’éco-nomiques, sont très limitées. Et l’État omnipotent s’immisce au plus profond de la vie privée, comme en témoigne la politique familiale qui interdit aux Chinois, sous peine de graves sanctions, d’avoir plus d’un enfant. Ce qui n’ira pas sans provoquer à terme de graves déséquilibres démographiques.
Gérald Le Page,
L’Action agricole picarde