Négociations commerciales
La responsabilité de la grande distribution
A la demande de la FRSEA et de Jeunes Agriculteurs, le préfet de Région a réuni les acteurs de la chaine alimentaire vendredi 29 février. Une table ronde marquée par la franchise des uns, le silence des autres et une ambiance globale anxiogène.
A la demande de la FRSEA et de Jeunes Agriculteurs, le préfet de Région a réuni les acteurs de la chaine alimentaire vendredi 29 février. Une table ronde marquée par la franchise des uns, le silence des autres et une ambiance globale anxiogène.
Dans son introduction, le préfet de Région a rappelé le souhait du Gouvernement que les prix de la GMS prennent en compte les coûts de production des agriculteurs. Une introduction encourageante qui laissait penser que le préfet aurait un discours ferme durant la réunion afin d’amener certaines enseignes de la grande distribution à changer de comportement. Mais c’est finalement un sentiment de déception qui régnait chez les représentants des producteurs à l’issue de la réunion.
Pour planter le décor, Mickaël Trichet (président de la FRSEA) et Alexis Roptin (président de JA) ont rappelé « qu’après deux ans d’application de la loi Egalim, force est de constater que le compte n’y est pas : trop peu de contractualisation, non prise en compte des coûts de production alors qu’ils augmentent en lien avec le poids des normes et l’augmentation des coûts des intrants et problèmes récurrents d’étiquetage de l’origine des viandes. » Et de pointer la responsabilité de la grande distribution « qui, après une année 2020 exceptionnelle (+6 % de hausse de chiffre d’affaires), juge « déraisonnables » les propositions de hausses tarifaires entre 2 à 4 % des fournisseurs. »
Filière laitière : le moins mauvais élève
Si des expériences positives existent, la FRSEA et JA regrettent qu’elles soient trop peu nombreuses et ne concernent qu’une partie infime des volumes. Mickaël Guilloux, président du Comité régional porcin, rappelait que seulement 2 à 3 % des volumes produits en France sont en lien avec les coûts de production. La filière laitière est souvent présentée comme bon élève. Mais pour Frédéric Vincent, responsable lait de la FRSEA, « c’est en fait le moins mauvais élève. Les coûts de production ont été pris en compte sur certains produits, par certaines entreprises et par certains distributeurs. Ce n’est pas à la hauteur des coûts de production calculés par l’interprofession selon la méthode validée par la Commission européenne. 403 € / 1000 litres alors que le prix est de 370 € au producteur. »
Faire appliquer la loi avant de la modifier
L’enjeu c’est bel et bien l’application de la loi, comme l’a souligné un transformateur : « Avant de modifier la loi, il faut la faire appliquer. » D’autres transformateurs ont dénoncé des discours malhonnêtes de la grande distribution qui visent à dire que le prix du plat préparé ne doit pas augmenter alors que le prix du poulet a augmenté. L’exemple de l’oeuf est inadmissible : « un seul centime : c’est ce qu’il faut pour couvrir les augmentations de matières premières. C’est 2,20 € par personne et par an. Pourquoi n’arrive t-on pas, en 2020, à faire passer ce besoin nécessaire ? » a interrogé Isabelle Leballeur, secrétaire générale de la Confédération française de l’aviculture.
Les transformateurs présents à la table ronde ont fait part de leur difficulté face aux comportements des enseignes de la grande distribution qui, sauf exception, refusent de passer des hausses, voire exigent des baisses de prix. Une situation totalement incompréhensible, qui a fait dire à un participant « un seul distributeur applique la loi et cela semble normal. »
Lidl, bon élève
Si les transformateurs ont plutôt fait preuve de franchise,
–fait relativement nouveau–, les comportements des enseignes de la grande distribution ont été assez différents. Côté bons élèves, Michel Biero, directeurs des achats de Lidl, a indiqué que son enseigne avait lancé les contrats tripartites notamment en viande bovine (4000 Charolaises label rouge par an) et en lait, avec la prise en compte des coûts de production. Et d’ajouter :
« Lidl souhaite aller plus loin mais cela nécessite le soutien des industriels ». Intermarché a indiqué être engagé dans le plan de filière viande bovine pour développer le label rouge, avec la transparence sur la chaîne de valeur. En lait de vache, Intermarché met en place des contrats incluant un mode de rémunération qui permet d’être proche des coûts de production.
La FRSEA et les JA ont regretté le silence assourdissant de Carrefour, Système U et Auchan. Et puis, il y a les absents non excusés : Casino et Leclerc, qui n’ont même pas pris la peine de participer ni de s’excuser. Ce qui a déclenché une réaction immédiate de Mickaël Trichet et d’Alexis Roptin à l’issue de la table ronde : « si certains ne trouvent pas le temps de participer à une réunion, les agriculteurs sauront aller à eux ! ».
Action en justice de JA Pays-de-la-Loire
Jeunes Agriculteurs Pays-de-la-Loire a déposé trois plaintes au tribunal de Nantes contre les transformateurs, les distributeurs et l’Etat afin de dénoncer la non-application de certaines mesures de la loi « EGA ».
« La prise en compte des coûts de production dans tous les contrats liant un agriculteur et son acheteur et la construction du prix en marche avant étaient des mesures phare de la loi Egalim. Deux ans après la mise en application de cette loi, le résultat est tout autre. Les coûts de production sont encore trop rarement pris en compte pour construire le prix payé aux producteurs. De maigres avancées ont pu avoir lieu dans certaines filières mais le compte n’y est pas !
Les négociations commerciales qui viennent de s’achever et qui vont fixer les prix pour l’ensemble des produits de marques nationales ont fait l’objet de demandes de baisses hallucinantes de la part des distributeurs ! Sous couvert de préservation du pouvoir d’achat des consommateurs, les distributeurs n’ont pas hésité à demander des baisses alors même que leurs enseignes affichent des résultats exceptionnels ! C’est inacceptable !
Les transformateurs ont également leur part de responsabilités ! C’est à eux de s’organiser pour mieux valoriser les produits agricoles. Ont-ils pris conscience que les agriculteurs sont au bord de la rupture et que leurs outils ne pourront pas continuer à tourner sans matières premières ? Ils ont des moyens à disposition comme le médiateur des négociations commerciales trop peu utilisé et qui doit leur permettre d’obtenir des résultats valorisant l’ensemble des maillons des filières agricoles. Enfin, l’Etat doit assurer le service après-vente de la loi. La loi existe, elle doit s’appliquer et c’est à l’Etat d’en être le garant.
Pour toutes ces raisons, JA Pays-de-la-Loire a porté plainte aujourd’hui au tribunal de Nantes contre les enseignes de la distribution, les transformateurs et industriels de l’agro-alimentaires et l'Etat », indique Alexis Roptin, président JA Pays-de-la-Loire, dans un communiqué du 2 mars.