L’agriculture au cœur des enjeux
Dans son livre Nourrir l’humanité, Bruno Parmentier, directeur de l’Ésa, s’interroge sur la capacité de l’agriculture mondiale à nourrir la planète au 21e siècle. Un défi qui replace l’agriculteur au cœur de la société.
Dans votre livre, vous dites que l’agriculture est à l’aube d’une métamorphose complète pour pouvoir relever le défi du 21e siècle, nourrir la planète, alors que l’on va manquer d’eau, d’énergie, de terre…
Bruno Parmentier : En un siècle, l’humanité a absorbé
4,5 milliards d’habitants supplémentaires. Au 21e siècle, la population mondiale va augmenter de 3 milliards. Les moyens utilisés jusqu’ici pour nourrir les populations nouvelles arrivent au bout de leurs possibilités, qu’il s’agisse de mettre des terres en culture, de l’irrigation, de la chimie ou des énergies fossiles. Les agriculteurs vont devoir produire plus et mieux mais avec moins. La biologie va prendre le relais. Les biotechnologies ouvrent la possibilité d’un progrès technique formidable. On oppose souvent deux tendances : d’un côté, il faut respecter la nature et mieux en comprendre les mécanismes ; de l’autre, il faut forcer la nature, aller plus loin, plus vite. Il faut faire de la recherche dans les deux directions : sur les pratiques raisonnées comme sur les OGM. Si on empêche l’Inra de travailler sur les OGM, on livre ces technologies aux mains des grandes puissances industrielles. Il y a déjà cinq fois la surface agricole de la France plantée en OGM dans le monde. C’est le début d’une technique, les espoirs sont immenses, à la hauteur des problèmes.
Et quid des pays en voie de développement ?
Le problème de la nourriture est très différent selon les continents. Si en Europe, nous mangeons à notre faim, la natalité est en baisse à l’exception de quelques pays comme l’Irlande ou la France. Il faudrait doubler la production mondiale pour pouvoir nourrir toute la planète. En Afrique, il faudrait la multiplier par 5, pour subvenir aux besoins de la population, ce qui est un défi impossible à relever. On a créé la FAO (Food and agriculture organisation) pour organiser la production dans le monde. Maintenant, c’est à l’OMC que l’on confie la charge de nourrir l’humanité. Le libre commerce, cela marche pour beaucoup de choses, mais pas pour la nourriture. La différence de productivité entre la Beauce et le Burkina Faso est de 1 à 500. Nos surplus coûtent moins cher rendus à Dakar que le poulet ou le maïs produits à 40 kilomètres de Dakar. Il faut que l’organisation mondiale de la production repasse entre les mains de la FAO. Laisser croire aux gens qu’avec le libre commerce, on va résoudre le
problème de la faim dans le monde, c’est une escroquerie intellectuelle.
Quels sont les atouts de l’agriculture française pour faire face à ces défis ?
Les terres agricoles françaises sont plutôt bonnes, et nous bénéficions de davantage de
surface que la moyenne : 36 % des terres immergées sont cultivées contre 12 % à l’échelle mondiale. Nos climats font aussi que nous avons plus d’eau que la moyenne mondiale. En France, nous avons aussi une tradition culinaire reconnue et appréciée qui nous confère une reconnaissance au niveau del’alimentaire. Mais la force numéro 1 de l’agriculture française, c’est l’organisation et le contrôle. Nous sommes les premiers en terme d’organisation et particulièrement dans l’Ouest, où la solidarité est une réalité quotidienne, à travers les Cuma, les coopératives, etc. Les agriculteurs protestent beaucoup de l’excès de contrôle, mais il est normal quand on touche de l’argent public de rendre des comptes. Le contrôle et l’organisation, ce sont nos assurances-vie dans un siècle où les crises sanitaires vont se développer à vitesse grand V. Les défis énergétiques placent l’agriculture dans une demande d’exigences énormes. Si on se coupe de la recherche, il sera difficile d’y répondre.
Le tableau que vous dressez dans votre livre est un cri d’alarme. Quel est le message que vous adressez aux agriculteurs et aux jeunes qui souhaitent faire ce métier ?
Dans la charte de l’Ésa, nous invitons nos étudiants à « regarder le monde avec confiance ». Le pire n’arrive pas toujours et nous nous sommes déjà sortis de situations catastrophiques. J’ai envie de dire aux jeunes qui souhaitent exercer ce métier : « Bienvenue dans le milieu qui va occuper une place de premier plan au 21e siècle ». La société urbaine va changer de regard. Elle va compter sur les agriculteurs qui n’auront plus l’image de pollueurs, de ringards ou d’assistés. Ce métier sera au cœur d’enjeux fondamentaux. La société est souvent ingrate envers les agriculteurs, mais il faut tenir bon, car elle va changer d’attitude. Je suis résolument optimiste pour l’agriculture.
Propos recueillis par Delphine Jégo
Nourrir l’humanité, Bruno Parmentier, éditions la Découverte. 22 euros.