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L’agriculture du 21e siècle
Lors du récent congrès de la FNSEA, à Saint-Malo, une table ronde a été consacrée à la place de l’agriculture dans le futur.
le dernier jour du congrès de la FNSEA.
Pour le dernier jour de congrès, la FNSEA avait laissé la parole à de nombreux intervenants, sous des formes variées. Dans son allocution, Jean-Yves Le Driant, président de la région Bretagne a évoqué plusieurs grandes idées qui dépassaient de loin le seul cadre de sa région tout en référant en permanence à la notion de territoire. Il a d’abord noté le retour de l’idée qu’il existait un temps agricole, bien battu en brèche en cette fin de XXe-début de XXIe siècle, entièrement tournés vers la vitesse et la réduction du temps. À une époque où l’emploi est une préoccupation majeure, il a argué que l’agriculture était un “pilier robuste de l’économie régionale”. Le président de région a ensuite mentionné l’existence d’un Tour de Bretagne de l’agriculture, qui prend fin ce mois-ci. Sa conviction est qu’il existe bel et bien un mal-être paysan mais aussi que le citoyen non-agriculteur “n’a pas une opinion aussi négative sur l’agriculture que les agriculteurs eux-mêmes”. Il y trouve bien sûr un motif d’espoir et surtout la possibilité de “sceller une nouvelle alliance entre l’agriculture et la société”.
“Des produits vitaux”
Pariant sur le territoire, sur la proximité, Jean-Yves Le Driant a plaidé en faveur des techniques innovantes, de jouer le collectif, de la typicité des produits et de garantir la disponibilité du foncier. “C’est un enjeu majeur dans les années à venir”, a t-il martelé. Il a terminé en scandant que les “produits alimentaires ne sont pas un bien comme les autres car ils sont vitaux, d’où la difficulté de les inclure dans un cycle de négociations”. Place ensuite à une table ronde, animée par David Barroux, journaliste au quotidien économique Les Échos. L’idée était de faire s’exprimer la société civile à travers des personnalités, certes, mais non-expertes des questions agricoles. Premier à intervenir, Jacques Royer, du groupe Royer spécialisé dans la fabrication de chaussures en Bretagne, qui plante le décor en affirmant : “Nous nous arrêterons de porter des chaussures avant de nous arrêter de manger”. Une belle manière de préciser que l’agriculture est inscrite dans les activités de l’Homme, passé et à venir. La grande différence qu’il entrevoit entre son secteur industriel et l’agriculture, c’est qu’il conviendrait peut-être de passer à un système de subventions défensives, dont le bien-fondé est indiscutable par ailleurs, à des subventions offensives pour créer du revenu, gagner des marchés.
Deuxième à prendre la parole, le sociologue Jean Viard, qui attire d’abord l’attention des congressistes sur le fait que, de façon générale, “le Français est pessimiste” avant de préciser qu’il croyait effectivement qu’en “agriculture, nous sommes à la fin d’un cycle, nous devons nous mesurer à de nouveaux enjeux”. Pour lui, il ne faut surtout pas oublier que la “terre fait partie de l’identité collective de ce pays, ce qui n’est pas le cas par exemple en Angleterre. De plus, il faut prendre conscience qu’aujourd’hui, il est normal de devenir vieux, il est normal qu’une famille ait deux enfants en France. L’agriculture, c’est donc du renouvelable et produire de l’alimentation est un champ majeur de développement de l’humanité”. Pour lui aussi, il “faut sacraliser les terres agricoles et dire que l’agriculture a de l’avenir. Après, certes, il faut chercher le chemin”. Il convient de “raisonner en termes de monde vert et non plus en termes de monde rural : l’Amap, le marché du village, les grandes productions, tout cela doit rentrer dans le même monde”. Pour conclure, Jean Viard estime que l’agriculture “doit cesser de parler d’elle-même et doit rebâtir un projet pour la société”.
Pour Jean-François Kahn, journaliste et directeur de Marianne, “un agriculteur ne peut pas ignorer la moindre petite question qui se pose quelque part dans le monde, car à tout moment, cette question peut toucher l’agriculture, d’une manière ou d’une autre”.
“L’ÈRE DE L’ÉCONOMIE DE QUALITÉ”
Également présent, Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (ancien président de l’Association des maires de France, ancien sénateur et dernier médiateur de la République) a d’abord fustigé ceux qui “considèrent trop souvent les agriculteurs comme un simple enjeu électoral et non comme un élément de stabilisation de la société et de l’économie. Il faut apprendre à gérer une nouvelle notion : d’une économie de pénurie, nous étions passés à une économie de richesse mais aujourd’hui nous sommes dans l’ère de l’économie de la qualité”. Autre enjeu majeur, ce qui se passe à l’international : avec l’avènement de la Chine et de l’Inde comme des pays consommateurs à l’occidentale, “c’est la question du foncier mondial qui est lancée”. Pour Jean-Paul Delevoye, “la question n’est pas de savoir s’il y a un avenir pour l’agriculture car il y en a un, bien évidemment, mais il s’agit plutôt de savoir quelle agriculture et quels agriculteurs ?”. Autre question qui mérite d’être traitée en matière d’agriculture selon lui : “Va-t’on laisser encore longtemps la ressource capitalistique internationale pomper les ressources naturelles à bas prix ou le consommateur peut-il reprendre la main en achetant, par exemple, de façon équitable ?”. Jean Viard a ensuite noté qu’il était essentiel de savoir qui sera agriculteur demain. Des jeunes issus des villes qu’il faudra former de A à Z ou des jeunes ruraux à qui le métier sera transmis par la génération précédente ? Reprenant la parole, Jean-Paul Delevoye insiste sur le fait qu’il est essentiel de ne pas vouloir défendre des intérêts mais une cause. “Et une cause, c’est installer une place pour l’agriculture dans la société. C’est aussi revoir les outils car on ne peut pas conduire la société de demain avec les outils d’hier”.
Thierry Michel