Économie
L’avenir de l’organisation économique en débat
À quelques jours de la participation du président de Coop de France, Philippe Mangin, au congrès de la FDSEA, regards croisés de Christiane Lambert et du leader coopératif.
meilleure structuration de l’offre ».
Christiane Lambert : « Dans la partie qui se joue, le travail syndical va consister à construire un rapport de force plus favorable aux producteurs. »
La FNSEA et Coop de France bouclent un tour de France commun sur l’organisation économique. Quels premiers enseignements en tirez-vous ? Christiane Lambert : Le premier enseignement, c’est la confirmation de la forte imbrication des débats “bilan de santé” et “organisation économique”. Le démantèlement des outils de gestion de marché de la Pac, comme la progression du découplage des aides et la volatilité croissante des prix, font que plus que jamais l’avenir de la production agricole et le revenu des agriculteurs seront liés à la pérennité et à la performance des outils de transformation et de commercialisation, au premier rang desquels je place les coopératives.
Philippe Mangin : La volonté française d’une politique agricole régulatrice et protectrice des agriculteurs n’est pas partagée en Europe. Il ne faut plus s’attendre à une intervention de l’Europe au niveau de la gestion des marchés. À partir de 2013, elle pourra rester un acteur au niveau de l’agriculture si la France arrive à faire reconnaître la nécessité d’outils de gestion des crises et des aléas. Le défi de demain, et l’occasion à ne surtout pas manquer, est une meilleure structuration de l’offre. À ce jour, aucune filière n’est assez organisée au niveau de la production et de la transformation face à la distribution. Sur les dix dernières années, nous avons même reculé sur l’organisation de l’offre et ce, pour deux raisons. La première est que la France a retenu une définition des organisations de producteurs catastrophique, intégrant de trop petites organisations qui ont participé à la désorganisation. La seconde est une volatilité des prix qui a pu ré-individualiser la coopérative. En effet, pendant six mois avec des prix du blé jamais atteints, tous les coopérateurs voulaient un prix ferme. Aujourd’hui tous les coopérateurs demandent un prix moyen ou contractualisé. Les restructurations ne sont pas l’unique solution. Les alliances doivent voir le jour pour parvenir à une taille critique, qui est différente d’une filière à une autre et fonction du marché. La valeur ajoutée n’a cessé de se déplacer vers la distribution. Pour récupérer une partie de cette valeur ajoutée, nous devons inscrire nos filières vers le produit le plus élaboré possible. Les alliances doivent se mettre en place et pas seulement entre coopératives mais en associant parfois aussi des entreprises de transformation privées. Les solutions vont dépendre de nous, agriculteurs, concernant les aspects marchés et vente de nos produits. Il va falloir demain s’occuper beaucoup plus et beaucoup mieux de la vente de nos produits. Aujourd’hui une seule chose parle au consommateur : les marques. Nous devons conforter les marques, c’est ce qui nous rapproche du consommateur sinon la distribution gardera le monopole de l’information vers le consommateur.
Le rapport 2009 de la FDSEA s’intitule “S’organiser mieux pour valoriser plus”. Que proposez-vous dans ce rapport ?
C.L. : Nous reprenons les orientations votées au congrès de Nantes autour de quatre axes : repenser le rôle, la fonction de producteur pour lui permettre de devenir co-acteur de sa filière, rétablir un rapport de force équitable entre producteurs et entreprises de transformation, d’autre part avec les acteurs de la grande distribution, instaurer une meilleure gouvernance dans les outils coopératifs, rechercher plus de valeur ajoutée et surtout en assurer le juste retour aux producteurs. Nous développons particulièrement les deux premiers axes parce qu’il est clair que dans la partie qui se joue, le travail syndical va consister à construire un rapport de force plus favorable aux producteurs, en particulier par une meilleure organisation de l’offre et de la première mise en marché. Dans ce rapport, nous secouons un peu nos coopératives, parce que nous les attendons à nos côtés dans cette vision stratégique.
Comment réagissez-vous à ces propos ?
P.M. : D’abord je me réjouis que chacun, à notre place et dans nos responsabilités, nous puissions avoir un débat constructif et loyal sur ces questions d’avenir. Et si le syndicalisme, qui a été mon premier engagement, secoue les coopératives, elles ont aussi des choses à dire aux responsables syndicaux et aux producteurs sur l’organisation de l’offre et la réponse aux marchés. J’apprécie cette exigence réciproque et je connais la culture d’organisation des Pays de la Loire et de l’Ouest, mais il y a encore des marges de progrès considérables, tant sur la concentration de l’offre que sur la recherche de valeur ajoutée. Tant mieux, si ce rapport insiste sur ces aspects cruciaux. L’organisation, ce n’est pas “régulation et mutualisation quand ça va mal, spéculation et individualisme quand le marché est porteur”. L’organisation économique a besoin d’engagement dans la durée, de discipline et de transparence. J’attends avec plaisir le débat avec les adhérents de la FDSEA de Maine-et-Loire mercredi prochain.
recueilli par Pascale Gélin
Viande bovine
Avant les décisions pour le Bilan de santé de la Pac, la section FRSEA viande bovine, réunie le lundi 26 janvier, a fait le lien entre la réforme de la Pac et la nécessité de mieux s’organiser sur un plan économique.
Section viande FRSEA : une réflexion globale
Pour Guy Hermouet et ses collègues, le dossier de la Pac est intimement lié à celui de l’organisation économique des producteurs : « Le dossier de la Pac nous mobilise fortement, résume Guy Hermouet, président de la section régionale FRSEA. C’est normal puisqu’il est question de rééquilibrer les soutiens : dans la mesure où les revenus des producteurs de viande sont parmi les plus faibles de la ferme France, nous espérons bien être entendu sur des points aussi importants que le maintien du couplage de la PMTVA, la mise en œuvre d’une politique de soutien aux fourrages digne de ce nom ou encore le maintien de DPU plus importants dans les systèmes d’élevage. Mais dans l’Ouest, nous ne pensons pas que les soutiens de la Pac régleront seuls le problème du revenu des producteurs. Nous devons avant tout travailler pour obtenir des prix plus rémunérateurs ; or, cela passe par plus d’efficacité économique au sein de la filière ».
Faisant le constat d’une restructuration à marche forcée de l’aval de la filière (le rachat de Socopa par Bigeard), la section viande estime ainsi qu’il est indispensable de regrouper mieux l’offre si les producteurs veulent peser sur les entreprises : « Notre offre est beaucoup trop dispersée, alerte Guy Hermouet ; chaque opérateur va négocier ses animaux avec les abattoirs. Résultat : ce sont les abattoirs qui sont les maitres du jeu. Il est temps de passer à la vitesse supérieure et d’engager une vraie relation partenariale avec les entreprises. Nous travaillons d’ores et déjà dans ce sens mais cela avance trop lentement. Des réticences existent à tous les niveaux, y compris d’ailleurs chez certains producteurs. Si l’on veut maintenir une activité d’élevage dans la région, et donc les emplois dans les entreprises qui en dépendent, il faut aller vite et loin dans un regroupement de l’offre et dans une contractualisation gagnant-gagnant ».
Jean-Paul GOUTINES
INTERVIEW
Vice-président de la FDSEA
Tenir un langage de vérité
À quelques jours de l’assemblée générale décentralisée du congrès de la FDSEA à Chemillé, quel regard portez-vous sur le réseau ?
La FDSEA et JA reposent - et contrairement à beaucoup d’autres -, sur un réseau dynamique, au niveau du canton pour JA, au niveau communal pour la FDSEA. Aujourd’hui, la tendance à l’individualisme et la chute démographique de la population agricole rendent parfois les choses plus difficiles. Je sais que d’aucuns aimeraient nous faire porter la responsabilité de ce déclin démographique. C’est un argument un peu facile alors qu’il est dû à un phénomène de pyramide des âges. C’est aussi trop vite oublier notre politique des structures qui privilégie toujours l’installation.
Comment vit ce réseau local ?
Les statuts prévoient une assemblée générale communale et cantonale annuelles. Et aussi des tournées régionales thématiques. Ces rencontres sont l’occasion d’aborder les grands sujets, de mener une réflexion prospective, d’élargir les horizons. Cette année, la demande du terrain a essentiellement porté sur la réforme de la Pac, l’organisation économique, la gestion de l’eau…
Comment se sont déroulées ces réunions ?
Ce qui me ravit, c’est que nos adhérents sont des gens qui participent au débat. Bien sûr, ils ont parfois des mouvements d’humeur face à telle ou telle annonce ou orientation, mais ils ont compris que les décisions se prenaient à l’échelon européen. Et ils sont pragmatiques, en ce sens qu’ils veulent savoir très vite comment s’organiser face aux évolutions annoncées. C’est un principe que je défendrai toujours : celui de la vérité pour pouvoir ensuite composer avec la réalité. N’en déplaise aux démagogues, ce n’est pas démissionner que de dire la vérité, c’est plutôt adopter un positionnement courageux, risqué parfois, mais responsable. C’est pour cela que la majorité des agriculteurs nous font confiance, parce qu’ils savent que le syndicalisme majoritaire continue à se battre pour trouver des solutions, pour exercer des pressions.
L’évolution de la Pac ne risque-t-elle pas de créer des divergences entre les productions ?
Les productions cherchent, en effet, à défendre leurs acquis, à préserver leur avenir, mais au-delà de ce travail, beaucoup de dossiers abordent les enjeux de façon transversale dans les sections spécialisées : je pense à l’emploi, à l’environnement, à la révision des loyers. D’autre part, l’échange est constant entre le national et le local. Ce qui fait que nos adhérents sont toujours au cœur de l’information.
Jean-Marc Lézé