Le confinement, accélérateur de tendance. Entretien avec Gilles Maréchal.
Le 18 novembre, Gilles Maréchal, fondateur de Terralim, Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’Inrae de Montpellier et Catherine Darrot, enseignante-chercheuse à Agrocampus Ouest, ont publié “Manger au temps du coronavirus” aux éditions Apogées. Résultat d’une enquête débutée le 15 mars et conclue fin juin, sur la base de 770 témoignages. Plongée dans nos habitudes alimentaires.
Le 18 novembre, Gilles Maréchal, fondateur de Terralim, Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’Inrae de Montpellier et Catherine Darrot, enseignante-chercheuse à Agrocampus Ouest, ont publié “Manger au temps du coronavirus” aux éditions Apogées. Résultat d’une enquête débutée le 15 mars et conclue fin juin, sur la base de 770 témoignages. Plongée dans nos habitudes alimentaires.
>> Pendant le premier confinement, on a évoqué un “boom” des circuits courts. Qu’en est-il réellement ?
Gilles Maréchal : pendant la crise, trois modes de consommation se sont démarqués : le drive, les commerces de proximité et les circuits courts. Ces derniers, qui représentaient un peu plus de 10 % du marché avant la crise, ont vu la demande presque tripler. Les producteurs ont réussi à répondre à cette demande, au prix d’une fatigue extrême pour certains. Les raisons sont nombreuses pour expliquer cette augmentation. Des consommateurs ont eu plus de temps à consacrer à l’alimentation, à la fois pour aller s’approvisionner, mais également pour cuisiner. Ils ont ainsi pu privilégier des produits bruts de producteurs locaux plutôt que les produits des supermarchés, transformés. On a assisté à une montée en compétence rapide d’une partie de la population sur son alimentation. Le facteur santé a bien sûr joué un rôle important, de nombreux
consommateurs étant réticents à se rendre dans de grands supermarchés.
>> Pourtant, après le déconfinement, l’intérêt pour les circuits courts a semblé s’estomper, chacun revenant à ses habitudes. N’était-ce qu’un effet de mode ?
Il faut relativiser. La demande avait presque triplé, c’était impossible que cela reste ainsi. Hors confinement, la demande est quand même restée haute. En fait, le confinement n’a fait qu’accélérer une tendance sociétale de fond, visant à délaisser les supermarchés, qui perdent 2 % par an de parts de marchés, au profit des circuits courts notamment. La demande pour les circuits courts sera grandissante. Et les producteurs se sont également servis du confinement pour expérimenter, innover ou découvrir les circuits courts. Donc l’offre a également augmenté, s’est étoffée. Si le cercle de consommation historique des circuits courts étaient composé de consommateurs éduqués, très sensibles à l’alimentation, on voit maintenant des consommateurs sensibles à la santé, au côté économique ou pratique… On assiste à un élargissement.
>> L’un des freins souvent évoqués par les consommateurs pour améliorer leur alimentation, c’est le prix. Les agriculteurs déplorent ainsi que les ménages ne consacrent plus que 16 % de leur budget à l’alimentation. Le confinement a-t-il eu un effet sur ces mentalités ?
Cette moyenne cache de fortes disparités. Les gens les plus précaires ont environ 2/3 de leurs revenus qui partent dans des postes fixes : loyer, assurances, électricité… Il reste donc 1/3 d’un budget déjà faible pour tout le reste. L’alimentation devient la variable d’ajustement des ménages pauvres. Avec la crise économique à venir, ces ménages auront du mal à se tourner vers
les circuits courts. Pourtant, nous ne sommes pas loin d’un basculement de la consommation, avec un désaveu important des supermarchés et un appétit grandissant pour les circuits courts. En alimentation, nous sommes habitués à observer des évolutions lentes et graduelles. Là, le confinement a tout accéléré, mais la crise qui vient annonce, elle aussi, des modifications importantes. Le développement des circuits courts pour toute la population passera par une réduction des inégalités.