Session chambre
Mettre en pratique l’AEI, de l’élevage à l’assiette : le lapin pionnier
L’application du concept d’Agriculture
écologiquement intensive en élevage spécialisé.
Les témoignages sur l’AEI (Agriculture écologiquement intensive) “ont souvent porté, jusqu’ici, sur les grandes cultures”, avec des alternatives proposées aux phytosanitaires et engrais, soulignait le président François Beaupère à la session Chambre d’agriculture du 23 juin. L’intervention de Stéphane Bouju, élu Chambre, éleveur de lapins, a donc particulièrement capté l’attention des élus. L’éleveur chemillois a retracé la démarche de démédication en élevage cunicole entreprise au sein du groupement Terrena Lapins, qui a abouti à la création du lapin Nouvelle agriculture, en 2012.
L’ensemble de la filière impliquée
Un travail de plusieurs années, qui implique l’ensemble de la filière, jusqu’au consommateur. On part dans de loin en cuniculture. Pour venir à bout de l’épidémie d’entérocolite qui a décimé les élevages dans les années 1995-96, “la réponse a été un recours massif et systématique aux antibiotiques”, rappelle Stéphane Bouju. Constatant des “traces alarmantes d’antibiotiques dans la viande -des taux de résidus de l’ordre de 3 à 4 %-, la filière s’est mobilisée, à partir de 2006”.
Un plan de démédication a été mis en place à partir de 2011, avec l’objectif de réduire de manière mesurée l’utilisation des antibiotiques. Dans les sessions de réflexion, des consommateurs ont été invités à donner leur avis, et même des associations de défense de animaux.
Réduction de l’usage des antibiotiques
“La démédication est une démarche volontaire de la part des éleveurs”, souligne Stéphane Bouju, qui y a adhéré pour son élevage de 1 000 femelles. Au niveau du groupement, qui compte 106 adhérents (sur six départements), le pourcentage de bandes sans antibiotiques en engraissement est passé de 49 % en moyenne en 2010, à 94 % en 2013. “Pour parvenir à ces résultats, on a fait appel à toute la flière, que ce soit la génétique, l’alimentation, les équipementiers, détaille l’éleveur. Nous avons exploré de nombreuses méthodes, et chaque élevage a retenu celles qui lui convenenaient le mieux. Nous avons testé l’argile, les huiles essentielles, les probiotiques. Nous avons travaillé sur la ventilation, le rationnement des animaux, la qualité des mères lors du renouvellement...”
La démédication s’est réalisée “sans dégrader les résultats économiques”. Mais elle représente une prise de risque pour l’éleveur volontaire, qui n’est pas à l’abri de retours en arrière. “Dans mon élevage, j’ai dû remédicaliser après quatre ans sans antibiotiques, raconte Stéphane Bouju. ça appelle à l’humilité.”
Compléments de prix
Le groupement a choisi de valoriser cette prise de risque à travers des compléments de prix. “10 à 20 % du prix par rapport au prix lapin de base”, illustre l’agriculteur. Le label Nouvelle agriculture a permis de segmenter un marché qui ne l’était pas du tout. Il suscite même un grand intérêt de la part d’enseignes de GMS. Mais le groupement Terrena, qui a déposé le cahier des charges, veille à “maîtriser le plus possible la communication et la commercialisation”.
“Marion Guillou* insiste sur l’importance d’avoir des filières qui s’intéressent à l’AEI, a commenté Christiane Lambert, vice-présidente de la Chambre d’agriculture et vice-présidente de l’association internationale AEI. Ce qui a fonctionné ici, c’est le partage d’objectifs, la co-construction du cahier des charges. C’est un changement profond et long, qui se joue sur le plan territorial”.
S.H.
* Auteur d’un Rapport sur la “double performance” (productivité et respect de l’environnement) dans la cadre de la préparation de la Loi d’avenir agricole.