Revenus agricoles
Mettre les chiffres en perspective sur plusieurs exercices
Les responsables professionnels de la FDSEA commentent les chiffres publiés par la Commission des comptes de l’agriculture pour l’année 2009.
« Comment peut-on dire que le revenu des producteurs de bovins est en hausse, alors que nous ressentons excactement l’inverse », s’insurge Mickaël Bazantay.
Le revenu agricole s’est effondré en 2009. C’est la deuxième année consécutive que les agriculteurs subissent une baisse de leur revenu avec une moyenne, cette fois, de 34 %. Toutes les productions ne sont pas touchées de la même façon. Pour certains, l’ampleur de la chute est plus que déstabilisante. Pour d’autres, la chute est récurrente et vient impacter encore plus des secteurs déjà très fragilisés.
Ainsi en est-il pour les producteurs de viande bovine. Ceci dit, les chiffres annoncés par la commission des comptes de l’agriculture laissent Mickael Bazantay perplexe : « Comment peut on dire que le revenu des producteurs de bovins est en hausse ?, s’interroge-t-il. Les éleveurs ressentent exactement l’inverse. Et en tant qu’administrateur de coopérative, je suis bien placé pour constater le nombre croissants d’impayés. À croire que les statisticiens ont oublié de compter un certain nombre de charges ou qu’ils n’ont pas compris que les éleveurs avaient dû décapitaliser pour compenser le manque de trésorerie ». Quant aux + 17 % de hausse annoncée, le responsable de la section bovine fait, là aussi, la part des choses. « Une hausse de 17 % sur pas grand chose, cela ne mène pas loin et, en tout état de cause, ce n’est pas ce que l’on enregistre dans les exploitations de la région des Pays de la Loire ».
La baisse la plus spectaculaire, en pourcentage, touche le secteur laitier : - 54 %. « Une amplitude jamais connue dans l’histoire du monde laitier », constate Alain Cholet, qui voit là une partie de l’explication de la colère des producteurs de lait, car l’écart est d’autant plus grand que l’année 2008 était exceptionnelle.
« C’est sans doute la fin d’un système », souligne le président de la FDL, et les producteurs de lait vont devoir intégrer qu’un tel phénomène peut se reproduire. » Car « quel que soit le système de régulation qui sera mis en place après l’arrêt des quotas, il faudra s’habituer à vivre avec ces écarts », estime Alain Cholet qui conseille aux éleveurs de « prévoir ces écarts financièrement pour mieux les aborder psychologiquement ».
Secteur porcin : « Le pourcentage de variation des revenus n’a aucun sens d’une année sur l’autre », commente Gérard Bourcier, président de la section porcine. Car les revenus des producteurs de porc baissent depuis trois ans. « On annonce
+ 10 % en 2009 alors qu’on est à - 30 % depuis 2006 ». Et cette hausse de + 10 % cette année n’est due qu’à la baisse du prix de l’aliment et non à la hausse des cours, puisque ceux-ci vont terminer l’année sur le niveau de 2008. « Faisons donc apparaître des informations plus sérieuses, sur trois ans », recommande le responsable professionnel. Comparer d’une année sur l’autre, c’est malsain et ça crée la confusion ».
Le secteur ovin voit son revenu augmenter de 22 %. « Que recouvre cette augmentation de revenu ? interroge Hubert Sureau, administrateur FNO. À 8 000 euros au niveau national, 22 % en plus, ça ne fait même pas le Smic. L’augmentation est due aux aides du plan Barnier suite à la conférence sur le revenu de novembre 2008 où une mesure de 5,69 euros pour le dossier FCO par brebis pour 2009 et également un rééquilibrage sur les DPU dormants de 5,30 euros pour certains au 1er décembre 2009. C’est donc une hausse des compensations qui engendre une hausse des revenus ».
Le marché s’est tenu, les prix aussi. Contrairement aux autres productions, où il y a un décrochage, les prix se tiennent, les charges ont baissé, notamment l’alimentation, et puis la compensation due aux aides.
Malgré tout, cela ne fait pas de revenu miracle. C’est le début du rééquilibrage annoncé pour 2010 dans le cadre du bilan de santé de la Pac. En 2010, le revenu augmentera plus, ce ne sera qu’une juste compensation de ce qui nous manque depuis une bonne dizaine d’années ».
Du côté des grandes cultures, la chute est rude, elle aussi : 50 % qui font suite à une diminution, en 2008, de 34 %. « On voit poindre des actions localisées de protestation », constate Emmanuel Lachaize. Pour le Maine-et-Loire, situé en zone intermédiaire, l’effet se fait d’autant plus sentir qu’il s’agit, dans la plupart des cas, d’exploitations de taille moyenne, le plus souvent en polyculture élevage.
« Elles sont donc touchées sur les deux tableaux », indique le responsible grandes cultures de la FDSEA.
Face à cette situation de crise, Emmanuel Lachaize recommande de ne négliger aucune piste : celle de la diversité des assolements, l’aide fût-elle minine mais assez souple à mettre en œuvre ; celle aussi des MAE, plus compliquée dans le temps, mais qui mérite d’être expertisée. Le responsable professionnel attend également de la Loi de modernisation agricole qu’elle dégage des solutions avec les DPA (dotations pour aléas économiques) dont il conviendra de suivre de près les modalités d’application. Pour alléger le poids qui pèse sur les exploitations, Emmanuel Lachaize demande également
d’ « arrêter l’empilement des mesures environnementales : évaluons déjà ce qui existe ». Sur ce sujet, Bruno Le Maire, le ministre de l’agriculture, déclarait, le 21 décembre dernier, suite à sa rencontre avec les syndicats representatifs, « souhaiter le plus vite possible un état des lieux sur les mesures environnementales et sanitaries en France et en Europe afin de répondre à l’inquiétude des agriculteurs français ».
En fruits et légumes, la situation ne vaut guère mieux. Les arboriculteurs traversent une crise sans pareille, tant dans sa durée que son ampleur. Le récent refus de la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, d’appliquer un coefficient multiplicateur sur la pomme, ne va pas dans le sens souhaité par les arboriculteurs.
Quant aux maraîchers, « tout s’est écroulé à partir du mois de mai, indique Michel Masse, et depuis, la pente n’a jamais été remontée ». En cause, les prix pratiqués par les centrales d’achat, les importations qui laissent les tonnages dans les champs. « On n’a jamais autant broyé », constate le responsable professionnel, également administrateur à la coopérative Fleuron d’Anjou. « Les dépenses les plus urgentes et incontournables, dans les exploitations, c’est le versement des salaires, poursuit Michel Masse. Les maraîchers espèrent un soutien des banques, pour autant que les multi-productions, pour certains d’entre eux, ne les excluent du dispositif. Ils espèrent aussi une relance au printemps pour redresser la situation. Mais, d’ici là, il faut tenir… ».
« Éviter la tentation del’individualisme et du repli sur soi »
Ces mauvais résultats, Jean-Paul Piet, président de AS49 (ex Afga) n’en est pas particulièrement surpris. « Il fallait s’y attendre. Ce résultat confirme ce que l’on pressentait, ce que les agriculteurs vivent au quotidien, ce que l’on constate, dans notre centre de gestion, lors des clôtures d’exercice : une chute très forte de l’EBE, avec des différences parfois au sein des mêmes productions, en fonction du taux d’endettement, du niveau d’amortissement ».
Comment s’en sortir, alors ? « Misons sur ce qui nous reste à gagner en compétitivité et en performances techniques pour limiter la casse », recommande Jean-Paul Piet qui met en garde les agriculteurs contre « les fausses bonnes économies qui donnent un souffle à la trésorerie dans un premier temps mais qui pénalisent à terme le revenu de l’exploitation ». Le responsable professionnel évoque ainsi le risque d’abandon du contrôle de performances ou un changement non adapté du système alimentaire. Et si cette « phase difficile ne peut pas durer », il recommande de « patienter en évitant la
tentation de l’individualisme et du repli sur soi ».
M. L.-R.