Interview
Notre combat sur les marges est celui de toutes les productions
Après les multiples actions syndicales en juin dernier, des questionnements perdurent. Le président de la FRSEA, Joël Limouzin, fait le point sur les différents dossiers.
productions ».
Début juin, les manifestations se sont déroulées devant la grande distribution. Avant, c’était devant les laiteries. Tout ça pour quoi aujourd’hui ?
Joël Limouzin : Des actions d’une telle ampleur dans l’intensité et la durée suscitent forcément de fortes attentes. Nous n’attendions pas le 13 juin au matin, à l’issue du blocage des centrales, de la monnaie sonnante et trébuchante. Comme souvent dans ce genre d’actions, les résultats se mesurent dans le temps. D’abord auprès des consommateurs : notre message est passé toute la semaine et nous nous sommes sentis sou-tenus et compris. Depuis, des associations comme UFC Que choisir dénoncent aussi les marges de la grande distribution. Auprès des distributeurs, nous leur avons fait comprendre que ce n’était plus possible de nous pressurer de telle sorte. Leur image a été dégradée, ainsi qu’en témoignent les campagnes de pub qu’ils ont engagées par la suite. Mais je pense sincèrement que nous avons rétabli quelques vérités auprès des élus et pouvoirs publics pour qu’ils comprennent que le travail sur la LME devait reprendre pour encore plus de transparence sur les marges et les prix. Depuis, l’observatoire sur le prix de quelques produits porcins renforce notre combat avec les consommateurs et les députés. Le travail est engagé sur la filière laitière sur ce même sujet. Les résultats de ces investigations se mesureront dans le temps.
La grande distribution conteste être responsable de tous les maux des filières agricoles. Elle incrimine aussi les industriels privés ou coopératifs.
Je rappelle qu’en novembre 2008, des abattoirs de la région ont été bloqués. Puis, en mai, les laiteries. Nous attendons des outils économiques plus de regroupement de l’offre avec des prix rémunérateurs pour les éleveurs, plus de contractualisation, plus de renforcement de leur organisation pour peser face à la grande distribution. Je sais que ces orientations sont difficiles à vendre en terme d’acquis syndical. Et pourtant, il va falloir s’y faire. Des années 1960 jusqu’en 2003, nous avons assisté au passage d’une politique agricole qui gérait et régulait des marchés, d’une puissance publique qui intervenait sur les principaux marchés pour tenir un prix, à une grande libéralisation. Les contraintes budgétaires, le Gatt puis l’OMC ont amené la Pac vers un abandon progressif de la régulation de marché. En parallèle, l’intervention n’est plus suffisante pour réguler : les agriculteurs sont directement confrontés aux marchés, à l’organisation ou pas des filières, à la valorisation des transformations.
Le contexte demande de prendre de nouvelles positions, d’avoir de nouvelles explications sur la nouvelle donne agricole et donc de nouveaux types d’actions. D’autres séismes que le lait sont à prévoir dans d’autres productions. Il faut travailler sur les suites du rapport d’orientation de la FNSEA à Nantes, en 2008, et celles de la campagne d’hiver avec Coop de France. Les producteurs doivent devenir un vrai partenaire de la chaîne de commercialisation. Je sais qu’il y a aussi du ménage à faire chez nous car beaucoup de dirigeants restent encore trop attachés à leur pré carré alors qu’il faudrait se regrouper sur de nouvelles bases, avec de nouveaux modes de gouvernance.
Beaucoup d’éleveurs trouvent également que seul le secteur laitier aurait grâce aux yeux du ministre et des médias généralistes.
Effectivement j’entends mes collègues producteurs de lapins, porcs, bovins viande qui accusent des chutes de revenus depuis plusieurs années. Dans l’observatoire des prix et des marges, il faut par exemple inclure les produits viande bovine et ne pas se cantonner qu’au lait. Notre combat sur les marges est celui de toutes les productions. Notre combat sur les prix est essentiel pour tous les revenus. Nous ne cessons de le rappeler à Bruno Lemaire qu’il n’y pas que le secteur laitier qui souffre en France. Mais il faut aussi reconnaître que la reconstruction de l’axe franco-allemand aujourd’hui repose sur les bases laitières. Si nous réussissons sur l’exemple laitier, alors d’autres décisions politiques européennes sur d’autres secteurs en crise, avec des outils de stockage par exemple, pourraient être avancées. Enfin, à l’échelle de la FNSEA, toutes les productions sont prises en compte. Quand nous rencontrons la MSA ou les banques pour demander leur appui, nous ne cantonnons pas nos demandes au seul secteur du lait.
Sur ce dossier laitier néanmoins, quelles sont vos réactions sur les tractations en cours sur le dossier Entremont ?
Le rapport d’orientation de la FRSEA des Pays de La Loire est suffisamment explicite sur ce dossier. Nous pensons que les solutions coopératives sont mieux adaptées à la gouvernance de tels outils pour demain et pour que les producteurs puissent exprimer toutes leurs attentes et leurs orientations en lien avec le syndicalisme.
Que va-t-il se passer à la rentrée syndicale. Des actions sont-elles prévues ?
Tout l’été nous mettrons à profit, avec la FNSEA, les entretiens avec le nouveau ministre pour lui dire toute notre attente en matière de plan d’envergure de relance vis-à-vis de l’agriculture. Il doit actionner tous les leviers connus sur nos charges comme par exemple des prises en charges, actions sur les charges sociales, des reports d’annuités en fin de prêts… il doit aussi actionner de nouveau leviers qui restent à inventer avec le syndicalisme et les organismes bancaires par exemple. C’est d’une vraie conférence revenu concrète dont nous avons besoin à la rentrée. Et c’est là que nous attendons de la monnaie sonnante et trébuchante pour passer le cap difficile que rencontrent toutes les productions. Puis il faudra définir, au sein de la nouvelle Loi de modernisation agricole annoncée par le président Sarkozy lors de sa venue à Daumeray, des mécanismes franco français qui redonnent de la stabilité, de la régulation à nos marchés pour qu’enfin nous puissions investir et vivre dignement de notre métier. En ce début d’été, on parle beaucoup des usines que des salariés, en plein désespoir, saccagent et menacent de faire sauter. Nous n’accepterons pas que les agriculteurs soient les oubliés de la crise.
Propos recueillis
par Jean Philippe Bouin