Interview
« Pas de contractualisation sans garde-fous pour les producteurs de lait »
Henri Brichart, président de la Fédération nationale des producteurs de lait.
Nicolas Sarkozy a annoncé le 27 octobre que « la contractualisation s’appliquera dans la filière laitière dès 2010 par la loi ». Est-ce réalisable dans ce “timing” serré ?
Henri Brichart : Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, comme dit le proverbe. Le calendrier défini par le chef de l’État est serré. Evidemment le politique doit montrer qu’il agit mais la situation de la filière laitière, on le sait et on l’a vu, est compliquée. Les semaines qui viennent seront, elles aussi, complexes. Dans ce contexte, le calendrier annoncé par le Président est trop court pour nous permettre d’envisager cette contractualisation sereinement. Elle ne pourra pas fonctionner si on ne donne pas le temps aux acteurs de la filière de la préparer et aux producteurs de s’organiser.
Le calendrier n’est donc pas réaliste, selon vous, quand l’objet même de ce contrat est « de protéger les producteurs de lait » selon le chef de l’État ?
Il semblerait que les transformateurs laitiers soient obligés, par la loi, de proposer des contrats à leurs producteurs dès janvier 2010. On peut penser que le véhicule législatif ne sera pas la Loi de modernisation de l’agriculture car elle ne sera pas votée à temps. Mais, cette nouvelle obligation de contractualiser ne peut se traduire par « une protection des producteurs de lait » qu’à la condition que la puissance publique ait un nouveau rôle dans cette relation. Je ne cesse de le répéter depuis de nombreux mois. Aboutir à une relation équilibrée entre les transformateurs et les producteurs ne peut se réaliser sans l’appui et l’implication des pouvoirs publics. C’est une obligation.
Est-ce souhaitable de se précipiter alors que la fin des quotas est programmée à 2015 ?
Il ne faut pas attendre 2015 pour se préoccuper de la fin des quotas. On le voit bien, ils ne sont déjà plus aussi efficaces. Il faut anticiper sans pour autant tomber dans le travers de l’urgence. Ce sujet de la contractualisation est majeur pour la filière laitière. Ne ratons pas ce rendez-vous.
Obliger par la loi les industriels à contractualiser avec leur producteur dès 2010, n’est-ce pas en réalité un cadeau fait aux transformateurs face à des éleveurs désorganisés ?
Je ne peux pas dire aujourd’hui que l’annonce du chef de l’État le 27 octobre est un cadeau fait aux industriels laitiers. Par contre j’ai envoyé un courrier au ministre Bruno Le Maire, suite à l’intervention du président pour lui indiquer que la FNPL était prête à avancer à la condition d’obtenir un paquet global permettant de sécuriser la négociation.
Vous avez depuis de nombreux mois défendu une contractualisation équitable entre les producteurs et les transformateurs. Avez-vous aujourd’hui obtenu les verrous nécessaires pour protéger les producteurs dans cette négociation forcément déséquilibrée ?
Aujourd’hui, il manque des éléments de sécurisation pour les producteurs dans ce que j’ai appelé le paquet global. Qui est en capacité de négocier les contrats proposés par les industriels ? C’est la première question à soulever. Notre réflexion à la FNPL est de permettre et de favoriser l’organisation de producteurs. Ces organisations ayant au moins un mandat de négociation. On aurait pu imaginer la création d’organisations de producteurs dites syndicales. Mais, au final, si le syndicalisme a le rôle d’une organisation économique, il faudrait recréer une « structure syndicale » dont le rôle serait d’agir comme un aiguillon. Ce n’est finalement pas très logique. Donc, à la FNPL on plaide pour un schéma qui sépare les
organisations économiques des producteurs des autres structures dédiées au syndicalisme.
Le vrai sujet n’est-il pas la capacité pour ces organi-sations de producteurs à négocier ainsi que le pouvoir donné à l’interprofession ?
Tout à fait. Il est clair qu’entre Lactalis et ses producteurs, même organisés, il n’y a pas la même capacité d’analyse sur les futurs contrats. Même si les OP ont un mandat de commercialisation comme le préconise le rapport de l’autorité de la concurrence, il faut être en capacité de négocier. Souhaiter, comme la FNPL le défend, une négociation collective passe nécessairement par un pouvoir important donné à l’interprofession. Il faut que celle-ci définisse des lignes directrices dans le cadre d’un guide de bonnes pratiques contractuelles. Je défends aussi la mise en place d’une commission d’examen afin de répondre aux questions et de s’assurer de la cohérence des futurs contrats. L’idée est que cette discussion entre les producteurs et leurs entreprises fonctionne sur le mode de celle du monde salarié. Lorsqu’un salarié signe un contrat avec son futur employeur, il peut se référer à des textes de référence comme les conventions collectives ou plus simplement le Code du travail. Les salariés ne sont pas abandonnés à eux-mêmes face à leurs employeurs. Il n’y a aucune raison que les producteurs de lait ne bénéficient pas de tels garde-fous.
Philippe Mangin a qualifié de chienlit la tentation, s’agissant des coopératives, de créer deux instances : l’AG des producteurs adhérents à la coop et une autre AG des mêmes adhérents à l’association. Vous êtes du même avis ?
Le terme de chienlit me semble un peu fort. Il n’empêche. Je comprends la logique de Philippe Mangin en tant que président de la coopération française. Les adhérents des coopératives sont en effet représentés au conseil d’administration. Dans le secteur du lait, il existe néanmoins quelques structures, face aux coopératives de défense des producteurs. Pour nous, la priorité est d’abord de s’organiser face aux entreprises privées. En effet, les producteurs dans les coopératives sont déjà sous contrat. La France a cette caractéristique d’avoir un secteur privé prépondérant.
Ces structures associatives existent peut-être parce que les coopératives laitières ne sont pas obligatoirement les plus généreuses en terme de prix du lait ?
Les coopératives sont campées sur deux pieds avec un sabot sur l’aval et un sur l’amont. Ce n’est pas forcément facile de se maintenir ainsi en équilibre.
êtes-vous favorable au système de double prix défendu par la coopération laitière ?
La FNPL n’a pas tranché sur cette proposition. Le fait de définir un volume et une valorisation en adéquation avec le “métier” de l’industriel peut être discuté. Se donner ainsi plus d’effets directeurs sur le lait qui sort de nos fermes ne me choque pas. Discuter du niveau du prix du lait en amont de sa livraison peut également nous permettre d’introduire dans cette négociation la notion de coûts de production. Dans ce système de double prix, les producteurs auraient le choix d’y aller ou pas en réagissant comme les chefs d’entreprise qu’ils sont. Ce modèle pose aussi des interrogations. La tentation peut être grande pour les industriels de casser le marché des produits de grande consommation en vendant des produits plus compétitifs car fabriqués avec ce lait moins cher, destiné normalement aux débouchés peu valorisés. C’est le problème de la transparence et de l’étanchéité des prix.
Si les entreprises sont dans l’obligation de déposer des contrats en janvier, que vont-elles y faire figurer concernant le prix payé ?
C’est toute la question. Les contrats devront comporter des clauses sur les volumes, le prix et la durée. Comme la filière est favorable à des contrats qui s’inscrivent dans un temps assez long - 5 ans me semble une bonne durée minimale-, on comprend la difficulté de prévoir un prix sur une si longue période. Il faudra toutefois faire figurer dans ce contrat la manière dont on inscrit le prix du lait dans la durée. La formule magique n’existe pas. Et négocier pour chaque contrat promet un beau bazar. Il est bien plus simple et de plus efficace de passer par l’interprofession. C’est pourquoi si on la renforce d’un point de vue juridique, la filière pourra s’appuyer sur des références issues de négociations collectives. Il faut avancer sur ce point qui est loin d’être gagné. Le droit de la concurrence est extrêmement strict à ce sujet comme en témoigne l’avis de l’autorité de la concurrence. Cette autorité n’est pas tendre concernant les interprofessions. Sans volonté politique, rien n’avancera.
Ce pouvoir renforcé des interprofessions qui peut prendre la forme d’une mission élargie à la gestion des marchés peut-il s’affranchir d’une composition pluraliste du collège producteur ?
Je considère que l’interprofession est un lieu de construction. Ce n’est pas l’endroit où doit avoir lieu toute forme de surenchères syndicales. Il y a d’autres endroits pour cela. L’expression démocratique se fait à FranceAgriMer par exemple. Avec les transformateurs privés et coopérateurs, nous avons vécu des moments très tendus. Cela n’a pas empêché l’interprofession de continuer à travailler. Pour résumer mon point de vue : c’est le gouvernement qui a la majorité aux élections qui gouverne. Le fait majoritaire est important. Vous me direz qu’il est plus facile de défendre ce point de vue lorsque qu’on est du côté des majoritaires. Mais, je le pense très sincèrement.
Pourtant Nicolas Sarkozy, qui est au pouvoir, pratique l’ouverture ?
Et Bruno Le Maire, son ministre, a donné beaucoup de crédit aux syndicats minoritaires depuis son arrivée. Il s’est d’ailleurs bien sorti des mouvements de contestation et notamment de la grève du lait. J’ai le sentiment que le ministre s’est quelque peu joué de nous, la FNPL.
Comment envisagez-vous les modalités de négociation pour le prix du lait 2010. Auront-elles lieu dans le cadre strict de l’interprofession ?
Au sujet du prix du lait 2010, l’accord du 3 juin 2009 a défini des formules qui doivent s’appliquer. C’est très simple. La FNPL demande le respect de cet accord pour 2010. Nous l’avons exprimé publiquement il y a quelques semaines sous la forme d’un communiqué. Je n’ai, à ce jour, pas eu de réaction de la part des industriels. Selon cet accord qui se veut plus en phase et plus réactif avec le marché, les éléments du prix du premier trimestre 2010 sont dictés par les tendances du quatrième trimestre 2009. Depuis octobre, on assiste à un frémissement des marchés des produits industriels. Le prix du premier trimestre 2010 sera donc en hausse. Difficile de dire de combien. Il nous manque deux mois (novembre et décembre) pour appréhender cette hausse de manière précise.
Croyez-vous à la nouvelle régulation européenne du lait défendue par Bruno Le Maire ?
J’ai le sentiment qu’il n’y a rien sur la table pour modifier le bilan de santé de la Pac. La régulation qu’il défend se fait au niveau de la filière, pas par la puissance publique. Il ne s’agit pas de revenir à une forme étatique de régulation des marchés laitiers. Je trouve ce discours ambigu même si cela fait partie du jeu politique.
recueilli par Sophie Baudin