OMC
Pascal Lamy veut sortir les négociations de l’OMC de l’impasse
La France et l’Union européenne restent ferme sur leurs positions : un non-accord à Genève vaut mieux qu’un mauvais accord. Les pourparlers vont se poursuivre tout le week-end.
Va-t-on vers un accord à l’OMC ou, comme le préconise un certain nombre de responsables agricoles, un
« non accord » sera préférable à un « mauvais accord », face à l’échec des négociations et des concessions attendues de part et d’autre ? À l’heure du bouclage du journal, hier jeudi, à midi, la réponse est encore incertaine et nulle pythie n’est capable de dire comment la situation évoluera. Les négociateurs sont réunis à Genève depuis le lundi 21 juillet. Un moment que
Pascal Lamy, le directeur de l’OMC, qualifiait de « décisif » pour dégager les grandes lignes d’un accord sur une nouvelle libéralisation des échanges internationaux. Mais pour certains, leur religion était faite : d’entrée, Marian Fischer-Bœl, le commissaire européen, avait annoncé la couleur en affirmant : « L’agriculture européenne ne va pas jouer les trouble-fêtes à l’OMC ». L’Union européenne avait cependant affiché sa bonne volonté en confirmant ses concessions agricoles, rappelant son accord pour diminuer ses droits de douane agricoles de 60 % en moyenne – chiffre qui correspond à la réduction de 54 % déjà proposée au titre de la réduction tarifaire générale à laquelle s’ajoute une baisse plus forte pour les produits tropicaux. C’était là l’ultime possibilité acceptable pour l’Union européenne, soulignait Anne-Marie Idrac, la secrétaire d’État française en commerce en déclarant que
« l’Union européenne a épuisé ses marges de manoeuvre sur le plan agricole et que les Européens ne peuvent pas aller plus loin dans ce domaine ». Elle réclamait aussi des « contreparties tangibles », notamment dans l’ouverture des marchés industriels des pays émergents. « Les Européens veulent obtenir le rééquilibrages des concessions déjà faites par l’UE à l’OMC lors de la réunion ministérielle à Genève », ajoutait-elle. La position du négociateur, Peter Mandelson, a, elle aussi, été vivement critiquée. Dès le 14 juillet, dans un communiqué, la FNSEA , dénonçait
« l’orientation préconisée par Peter Mandelson qui conduira à rendre les consommateurs européens encore plus dépendants et se chiffrera par une perte de 30 milliards d’euros et de 500 000 emplois pour le secteur agricole ». De leur côté, JA crie à la « stratégie suicidaire » du négociateur européen.
Dans cette posture, la France n’est pas seule. Cette attide de fermeté est renforcée notamment par les Irlandais qui défendent une « position forte sur l’agriculture ». Cet aspect est un point essentiel pour les Irlandais dont le récent vote négatif sur le traité de Lisbonne a notamment été motivé par la crainte des agriculteurs qu’un accord à l’OMC ne menace l’élevage bovin et la production laitière du pays. En France, la FNB dénonce « un accord qui déstabiliserait la filière européenne bovine et remettrait en cause l’indépendance alimentaire. Le projet de compromis actuel prévoirait une couverture du quart des besoins en viande bovine de l’Union européenne par des importations », souligne la structure syndicale. « C’est une irresponsabilité politique majeure dans le contexte de crise alimentaire mondiale ».
Même soutien de la part du Copa Cogeca et des paysans d’Afrique. « La crise alimentaire ne peut être résolue par un accord à l’OMC », ont déclaré ces organisations le 22 juillet à Genève, en marge des négociations qui se déroulent au siège de l’OMC. « Le délicat problème du développement a disparu des débats », déplore Gérard Renouard, président de Afdi (Agriculteurs français développement international). « Nous craignons que les propositions agricoles actuellement sur la table à l’OMC ne minent la capacité de nombreux pays dans le monde à offrir à leurs concitoyens la sécurité et la stabilité alimentaires si cruellement indispensables ». Pour ces signataires – au total une quarantaine de pays – eux aussi « l’absence d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord ». Le « geste » des États Unis, le 22 juillet, ne semble donc pas suffisant pour rallier les esprits. Comme l'avait fait l'UE la veille pour ses tarifs douaniers, les États-Unis ont soumis, mardi 22 juillet à l'OMC, une offre de réduction de leurs subventions agricoles afin de convaincre les pays émergents d'accepter, parallèlement, une réelle ouverture de leurs marchés pour les biens industriels et les services. La représentante américaine pour le commerce, Susan Schwab, a suggéré une baisse de ce soutien interne global ayant des effets de distorsion des échanges à 15 milliards de dollars par an, contre 17 milliards proposés en juin 2007 et 22,5 milliards fin 2005.
Trois conditions à un « bon accord »
« Actuellement nous travaillons à obtenir un bon accord à l'OMC [...]. Nous n'y sommes pas », a déclaré le même jour Michel Barnier, ministre de l'Agriculture à l'issue de la réunion du conseil des affaires générales de l'UE présidé par la France. Interrogé sur la déclaration du Copa et des paysans d'Afrique, d'Asie et d'Amérique plaidant pour un
« non-accord à l'OMC » sur les bases agricoles actuelles, le ministre a indiqué « que dans d'autres circonstances, nous-même avions dit que pas d'accord valait mieux qu'un mauvais accord ». Toutefois, Michel Barnier « ne veut pas faire de procès d'intention » : Il met trois conditions à un « bon accord » : « aucune concession supplémentaire sur le plan agricole », « la capacité de continuer dans le respect des accords internationaux une Pac après 2013 » et
« l'équilibre sur les secteurs de l'industrie, des services et des IGP ». Afin d'obtenir un « rééquilibrage indispensable » dans la négociation qui se poursuit au siège de l'OMC à Genève, les « IGP sont l'un des points prioritaires », a-t-il rappelé. Par contre ni lui, ni Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État au commerce, ont souhaité faire de commentaires sur la proposition américaine de ramener à 15 milliards de dollars par an leur niveau de subventions agricoles. « Certains de nos partenaires vont faire des annonces, il faut regarder la sincérité et la réalité de celles-ci afin d'éviter toute annonce cosmétique », avait déclaré le ministre avant d'avoir pris connaissance de la proposition américaine.
Le bras de fer continue
Toutes ces prises de position et déclarations ne pouvaient laisser le directeur général de l’OMC indifférent. Le directeur général de l’OMC aimerait en effet que cette réunion de Genève se solde par un accord. Or, les talents de maïeuticien dont Pascal Lamy se prévaut se heurtent à des positionnements très fermes. Et les choses seront plus difficiles à obtenir. Ainsi, l’Inde et le Brésil, leaders des économies émergentes, ont confirmé, le mercredi 23 juillet, qu’ils jugeaient insuffisantes les offres de réduction des droits de douane et des aides internes agricoles faites respectivement par l’Union européenne et les États-Unis. Et ces deux pays se sont abstenus de toute concession nouvelle sur l’accès à leurs marchés pour les produits industriels. Du coup, Pascal Lamy a appelé les délégations à
« travailler ensemble avec davantage de conscience de l’urgence ». Et se veut rassurant : aux organisations agricoles, dont il a reçu une quinzaine de représentants, il a expliqué que « l’agriculture bénéficierait d’une protection tarifaire cinq à six fois supérieure à celle de l’industrie, avec beaucoup plus de flexibilité grâce au rgime d’exception prévu pour les produits sensibles. Parallèlement, l’Union européenne et les États-Unis pourraient continuer à subventionner leur secteur agricole à hauteur de 80 milliards de dollars par an, sans limitation pour les aidesrelevant de la boîte verte », a promis le directeur général de l’OMC qui aimerait sortir de l’impasse. Pascal Lamy a donc créé plusieurs groupes de négociation informels sur tous les sujets en discussion. La conférence de lancement des négociations sur les services prévue le 24 juillet a été reportée au lendemain. À moins d'un clash définitif et rapide, les négo-
ciations pourraient se poursuivre pendant tout le week-end.
M.L.-R. d’après AGRAPRESSE