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Réforme de la Pac : la vraie négociation a commencé
La Commission européenne a ouvert des pistes de compromis sur le verdissement des aides, mesure phare de la réforme. Le groupe de Stockholm avance ses propositions.
Les négociations sur le verdissement des paiements directs de la Pac, mesure phare de la réforme proposée par la Commission européenne pour l’après 2013, ont commencé pour de bon. Une quinzaine d’États membres réunis au sein du groupe de Stockholm (seize pays, dont la France) a mis sur la table une contre-proposition afin de donner plus de flexibilité aux agriculteurs (*). Le document, qui a été finalisé à l’occasion du Conseil des ministres de l’agriculture le 26 avril à Luxembourg, a été présenté par le Luxembourg, en lieu et place de l’Allemagne, le 30 mai, lors du Comité spécial agricole. Aucun autre membre du groupe de Stockholm n’a cosigné le texte, mais tous ont soutenu l’initiative, même si des divergences existent entre eux.
Dans sa proposition initiale de réforme de la Pac présentée en octobre dernier, le commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos, souhaite que 30 % des paiements du premier pilier de la Pac soient octroyés aux agriculteurs qui respecteraient les trois dispositions environnementales suivantes : la diversification des cultures (avec un minimum de trois cultures représentant au plus 70 % de la surface de l’exploitation et au minimum 5 %), le maintien des pâturages permanents à leur niveau de 2013 et la mise en place de réservoirs écologiques ou éléments de paysage (par exemple jachère murs, haies, terrasses ou bandes enherbées) sur au moins 7 % des terres d’une exploitation. Les agriculteurs bio auraient directement droit à ces 30 % et “ne seront soumis à aucune exigence supplémentaire car l’avantage écologique qu’ils représentent est évident”.
Tenir compte des spécificités des États-membres
Dans son document, le groupe de Stockholm estime que “l’approche globale prise par la Commission n’est pas le moyen le plus efficace pour assurer que des bénéfices significatifs pour l’environnement soient atteints dans l’Union européenne”. Il suggère un menu de mesures dans lequel les États-membres pourraient venir piocher afin que “le verdissement soit mieux adapté aux conditions spécifiques de chaque État-membre pour répondre aux objectifs environnementaux”. Les États-membres auraient la possibilité de choisir entre trois dispositifs. Le premier permettrait d’utiliser au moins 10 % des fonds du premier pilier (aides directes), sans obligation de cofinancement, pour soutenir des actions agro-environnementales dans le cadre du deuxième pilier (développement rural). Cette proposition est néanmoins contestée par certains États-membres au sein même du groupe de Stockholm (Espagne, Finlande, Autriche, France notamment) qui estiment qu’une telle démarche affaiblirait le premier pilier.
Dacian Ciolos prêt à reconnaître certaines démarches “vertes”
La deuxième option - plus détaillée - consiste à donner plus de flexibilité à la proposition de Bruxelles. Certaines pratiques agricoles pourraient être automatiquement reconnues comme vertes. Ces agriculteurs “verts par définition” seraient ceux qui participent déjà à des démarches de certification environnementale, ceux dont 50 % au moins de la surface est située en zone Natura 2000 ou encore ceux dont plus de 50 % de la surface est recouverte par des prairies. Sur ce point, le commissaire européen s’est dit prêt à discuter et à reconnaître certaines démarches privées ou nationales comme pouvant bénéficier directement des soutiens liés au verdissement. Mais, prévient-il, il faut que la démarche couvre l’ensemble de la surface de l’exploitation et que les aides proviennent du premier pilier.
Trois mesures à choisir parmi neuf
Pour les agriculteurs qui ne seraient pas “verts par définition”, le groupe de Stockholm préconise que chaque État-membre puisse choisir trois mesures de verdissement qui deviendraient obligatoires sur son territoire dans une liste de neuf dispositions : 7 % de surfaces agro-écologiques (qui en plus des haies, mares ou bandes enherbées pourraient tenir compte des zones situées en Natura 2000 ou toute autre surface participant à des programmes environnementaux) ; diversification des cultures ; maintien des prairies permanentes ; surfaces forestières ou couvertes par des cultures pérennes ; certificats d’écono-mies d’énergie ; jusqu’à 10 % des fonds du premier pilier utilisés pour financer des mesures agro-environementales (deuxième pilier) ; un pourcentage à déterminer de cultures dérobées ; plan d’amélioration de la qualité du sol ; gestion écologique des prairies. Ce menu est soutenu par une grande majorité d’États-membres.
Simplifier
Enfin, troisième option à la disposition des États : intégrer les mesures du verdissement dans l’écoconditionnalité. Au lieu d’un paiement de base à 70 % et d’un bonus de 30 % pour le verdissement, tous les agriculteurs seraient tenus de remplir les exigences du verdissement pour toucher leurs aides du premier pilier. Cette contre-proposition “à la carte” pourrait également prévenir les charges administratives inutiles (pour les agriculteurs et les États-membres) afin de se concentrer sur l’efficacité de la réalisation des objectifs environnementaux, justifient les auteurs. L’argument ne convainc pourtant pas Dacian Ciolos qui assure que le schéma qu’il propose est le plus simple.
AGRA
(*) Autriche, Belgique, République tchèque, Danemark, Estonie, France, Allemagne, Irlande, Lettonie, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, Pologne, Suède et Royaume-Uni.
Pac Les autres sujets de discussion
Critères de l’agriculteur actif. L’objectif de la Commission est d’exclure du régime des paiements directs les “sofa farmers”, c’est-à-dire les sociétés ayant des terres pouvant être réputées agricoles mais qui ne les exploitent pas (aéroports par exemple), ou ceux qui les utiliseraient à des fins très éloignées de l’agriculture (golfs).
Soutien couplé. La proposition de la Commission ouvrant la possibilité de maintenir, dans certaines limites (jusqu’à 5 % de l’enveloppe budgétaire nationale, 10 % dans des cas spécifiques), un soutien couplé à certains types ou des systèmes d’exploitation (viande bovine ou ovine, fruits et légumes par exemple), est jugée insuffisante par certains États-membres et excessive par d’autres.
Plafonnement. Les Vingt-sept sont très divisés sur le principe du plafonnement des paiements directs (la Commission propose une dégressivité à partir de 150 000 euros par exploitation puis un plafonnement à 300 000 euros, en prenant en compte le nombre d’emplois). La prise en compte du coût du travail est un problème persistant pour plusieurs États-membres.
Convergence interne. La Commission propose que le niveau de soutien par hectare soit uniforme à l’échelle nationale ou régionale à l’horizon 2019, sur la base des droits alloués en 2014, 40 % de l’alignement devant être opérés dès 2014. Plusieurs pays, dont la France, soulignent que l’échéance de 2019 est trop proche et réclament plus de subsidiarité en la matière. L’idée de procéder à 40 % de cet alignement dès 2014 est également été critiquée.
Redistribution entre États-membres. Pour tous les pays (essentiellement les “nouveaux” membres, mais aussi l’Espagne ou le Royaume-Uni) où les paiements directs sont inférieurs à 90 % de la moyenne de l’UE, l’écart serait réduit d’un tiers sur la période 2014-2018, la diminution de l’enveloppe nationale des paiements qui s’en suivra, pour des raisons de neutralité budgétaire, dans les pays aujourd’hui mieux lotis ne pouvant pas dépasser 10 %. Un projet accueilli très fraîchement par les pays qui perdraient au change.
Développement rural. Lors d’un débat en décembre dernier, les ministres de l’Agriculture de l’UE avaient, pour la plupart, critiqué la complexité des adaptations que la Commission suggère d’apporter à la politique de développement rural. Beaucoup avaient épinglé l’intégration de cette politique dans un cadre stratégique commun avec les autres Fonds structurels de l’Union ou encore la prise en compte des “performances” des États-membres dans la ventilation annuelle des crédits, dispositifs jugés très lourds sur le plan administratif et contraires à l’objectif de simplification de la Pac.
AGRA
Infrastructures agro-écologiques
7% : le chiffre qui fâche
Au chapitre “verdissement” de la Pac, un chiffre suscite la polémique : 7 %. Consacrer 7 % de la surface agricole utile des exploitations agricoles à des “surfaces d’intérêt écologique”. Telle est l’une des conditions que la Commission entend soumettre au versement de 30 % des aides de la Pac, avec le maintien des pâturages permanents, et la diversification des cultures. Ce taux a fait bondir la profession. Sur l’environnement, “la France court déjà en tête, objecte Pascal Ferey, de la FNSEA. Pourquoi 7 et pourquoi pas 5 ou 8 ?”. Aujourd’hui, c’est sur ce chiffre que les États-membres discutent à Bruxelles. Pourtant, rien n’est encore fixé quant aux aménagements qui pourraient compter dans ces 7 points de la SAU. Et cela pourrait tout changer. La Commission suggérait de prendre en compte les “bordures de champs, haies, arbres, jachères, particularités
topographiques, biotopes, bandes tampons ou surfaces boisées”. Et d’exclure les prairies permanentes ainsi que de dispenser de cette obligation les exploitations certifiées en bio. Les Chambres d’agriculture redoutent que ces 7 % ne soient une extension des 3 % de “surfaces équivalents topographiques” ou SET* aujourd’hui imposées au titre de la conditionnalité des aides Pac. Le pas à accomplir pour passer de 3 à 7 % serait alors important, redoute l’APCA. D’autant plus important que ces SET, qui devaient initialement augmenter à 5 % en 2012 ont bénéficié, sur demande de la FNSEA, d’une révision de cet objectif, alors maintenu, comme en 2011, à 3 % de la SAU.
Didier Marteau, chargé des questions d’environnement à l’APCA, récuse fermement ce chiffre : “C’est autant de surface qu’il faut retirer de la production”. Pour autant, chacun est conscient de l’objectif agronomique de ces surfaces, supposées attirer et héberger les auxiliaires des cultures ou une certaine faune, réguler la circulation de l’eau, structurer les sols pour limiter l’érosion... “
Ces 7 % pourraient être dédiées à des cultures minoritaires comme le chanvre ou la luzerne, qui ont un intérêt environnemental”, suggère Didier Marteau.
Allier écologie et production agricole
“Sanctuariser 7 % de la surface productive est stupide”, considère Konrad Schreiber, de l’Institut d’agriculture durable. D’une part parce qu’on va “manquer de SAU”, d’autre part, une partie de la surface totale des exploitations est déjà affectée à la biodiversité : haies, talus, mares… Konrad Schreiber appelle à reconnaître cet existant. Pour l’IAD, c’est par ailleurs sur l’intégralité des terres agricoles qu’il faudrait appliquer des modes de gestion respectueux de l’environnement et conditionner les aides Pac à leur respect.
L’Association française arbres et haies champêtres (Afahc) imagine, elle, de changer l’indicateur et propose la Spa, ou Surface propice aux auxiliaires. La notion repose sur des études qui ont évalué à une soixantaine de mètres à la ronde la distance prospectée par les auxiliaires des cultures et pollinisateurs à partir de leur habitat.
Attention à la facilité
“La facilité du contrôle est l’un des critères de Bruxelles pour ces infrastructures agro-écologiques“, relève Michel Griffon, conseiller scientifique à l’agence nationale de la recherche et président de l’Association internationale pour une Agriculture écologiquement intensive, au risque d’oublier la fonction des aménagements et leur intérêt pour l’agriculture elle-même. L’association imagine alors une autre piste : ne plus compter en surface ou en équivalent surface, mais en “points de biodiversité”.
Les propositions très contrastées des acteurs français seront discutées lors d’une table ronde coorganisée par l’association internationale AEI et l’Institut de l’agriculture, le 31 mai à Paris.