Crise
Sauvons l’agriculture à Nantes le 16 octobre
Mobilisation générale pour défendre l’agriculture. Toutes les productions se donnent rendez-vous dans la capitale ligérienne.
Élodie Lardeux, élevage de chèvres, à Aviré. « Notre production reste fragile ».
Élodie Lardeux s’est installée en 2007 à Aviré, en production de lait de chèvre : « Depuis mon installation, nous avons subi une forte hausse du coût des aliments. Pour y pallier, notre objectif est d’être le plus autonome possible, mais nous n’y sommes pas encore. Il nous faudrait 25 hectares supplémentaires. Aujourd’hui, nous devons acheter environ 60 % de notre aliment. C’est dur en termes de trésorerie. Heureusement, nous avons un séchoir à foin.
Quant au prix du lait, il est monté deux fois depuis 2007, mais aupa-ravant il n’avait que très faiblement augmenté depuis dix ans. Notre crainte, avec la nouvelle Pac, c’est que les laiteries s’approprient la prime à la chèvre (environ 15 euros), en baissant le prix du lait au producteur. Nous veillons aussi à ce qu’elles ne profitent pas de la crise laitière en vache pour faire baisser le prix en chèvre. Il faut rester vigilant et mobilisé. C’est pourquoi au moins un membre de notre Gaec sera présent à Nantes le 16 octobre. Quant à l’avenir de la production, il faut continuer à installer des jeunes, mais en prenant bien garde à ce qu’ils aient du foncier à côté de leur atelier caprin ».
Patrick Treille, céréalier à Genneteil. « Les charges pèsent sur le revenu ».
Patrick Treille est céréalier, dans le Noyantais, sur une SAU de
230 hectares. Il cultive du blé, du colza, du tournesol et du maïs grain. Après l’envolée de 2007, les cours sont à nouveau à la baisse, en particulier en maïs grain. « En 2007, nous avons eu de très bons prix en maïs, de mauvais en 2008-2009. Cette année on parle de prix aux alentours de 90 euros la tonne, pas très loin des 87 euros de 2004. Mais avec la grande différence qu’entre temps, le coût des semences a augmenté de 5 à 10 %, celui des engrais a également augmenté, ainsi que le fuel, qui a pris 50 %. J’achète mes engrais et composts toujours un an à l’avance. En 2008, ma facture s’élevait à 100 000 euros. Plus que les fluctuations des produits agricoles, ce sont les hausses des charges qui pèsent sur la trésorerie. N’ayant pas de fumier à disposition, nous prenons de plein fouet ces fluctuations ». Comment envisage-t-il la suite ? « Mon principal souhait serait d’avoir des prix de vente supérieurs et moins de primes. Notre production serait ainsi mieux valorisée ».
Olivier Grégoire, maraîcher à Varennes-sur-Loire. « Une production très dépendante des coûts de main-d’œuvre ».
Olivier Grégoire est maraîcher, sur un hectare de serres et 5 hectares de plein champ. « Depuis trois ans, les prix déclinent tous les ans, même si 2008 a été une saison correcte, admet-il. Cette année, c’est la catastrophe. Le prix moyen de vente des produits botte est 15 à 20 centimes au-dessous de 2008. Les poivrons sont à 80 centimes d’euros contre 1 euro l’année passée. Au niveau des tomates, le coût de production est de 40 centimes d’euros/ kilo, alors que le prix de vente se situe entre 20 et 25 centimes. Résultat, j’ai arraché des pieds puisque cela me coûtait trop cher de payer quelqu’un pour ramasser les tomates. J’emploie une salariée permanente et une autre à temps partiel. J’emploie en plus six à sept personnes à la saison des fraises et framboises. Sur le coût de la main-d’œuvre, on se trouve en distorsion de concurrence par rapport aux autres pays européens, mais également sur la question des traitements phytos ». Olivier Grégoire vend sa production à des grossistes, mais il essaie en parallèle, de développer la vente directe.
« Je suis installé depuis dix ans, je devrais être “tranquille”, en vitesse de croisière, pouvoir investir pour mécaniser la production. Ce n’est pas possible à ce jour ».
Dominique Patry, producteur de semences à La Ménitré. « Péren-niser nos productions et nos emplois ».
Dominique Patry produit, sur 56 hectares, des semences de maïs, potagères, florales et de pois potagers. En cultures semencières, les agriculteurs sont très dépendants des fluctuations des cours des produits. Les inquiétudes se portent cette année sur le maïs : « Le maïs consommation a beaucoup dégringolé. Or, en maïs semences, les cours sont indexés en partie sur ceux du maïs grain. Il faut s’attendre cette année à un manque à gagner de 240 euros par hectare, sur un produit brut du maïs semences de 4 000 euros/ha ». Très dépendants aussi des aléas climatiques et des possibilités d’irriguer : « Sans eau, on n’aurait rien produit en maïs cette année », souligne-t-il.
Les aspects environnementaux l’interrogent aussi : « Dans notre production, nous sommes directement touchés par le retrait d’un certain nombre de produits phytosanitaires. Sur les oignons, si nous n’avons plus d’antimildiou, il sera difficile de maintenir la production. La perspective de l’obligation de couverts végétaux nous inquiète aussi, quant à la conduite de nos cultures. Dans notre région de la Vallée, les semences permettent de conserver des agriculteurs sur des petites surfaces comme chez moi. Il ne faudrait pas que des décisions viennent fragiliser nos systèmes. »
Louis-Luc Bellard, arboriculteur. « Espérer la reprise ».
« Malgré les efforts colossaux consentis, nous ne pouvons pas plus réduire notre prix de revient au verger ». Avec une main-d’œuvre pesant 50 % du prix, les arboriculteurs français sont confrontés de plein fouet aux distorsions de concurrence, « que le ministre de l’Agriculture reconnaît ». Pour autant, les aides dégagées n’y suffiront pas. « Il faudrait
10 centimes de valorisation complémentaire de plus au kilo pour équilibrer », estime le responsable du verger Bellard-Crochet. Pour lui, le sort des arboriculteurs est lié à plusieurs éléments : une meilleure prise en compte des coûts de main-d’œuvre par les pouvoirs publics, une relance de la consommation, une meilleure organisation collective des producteurs et une solidarité du réseau commercial. À l’heure où les prix de la campagne 2009 traînent à décoller, Louis-Luc Bellard table sur une reprise.
« Je ne peux imaginer que la profession arboricole aille à la catastrophe. Un hectare de verger qui disparaît, c’est un emploi direct en moins. Et des conséquences en cascade dans toute la filière ».
Jean-Philippe Menant, production porcine. « Continuer à se développer et rationaliser l’outil ».
« Pendant quelques années, le lait a compensé le manque à gagner en porcs, mais à présent c’est fini ». Au Gaec de la Roirie, à La Ferrière-de-Flée (cinq emplois, 180 hectares), la plupart des bâtiments sont amortis. Mais Jean-Philippe Menant et ses associés veulent continuer à se développer et apporter de la valeur ajoutée en améliorant sans cesse la qualité de la production. Le cahier des charges sur caillebotis ouvre des marchés, la conduite d’élevage gagne en productivité, « mais il va falloir dire stop aux distorsions », estime l’éleveur.
« La viande qui entre en France doit répondre aux mêmes exigences. Les pouvoirs publics, la grande distribution et les
salaisonniers doivent l’entendre ». C’est pour cette raison qu’il sera à Nantes, le 16 octobre. Pour la production porcine et toutes les autres productions. « Pour sauver l’agriculture et faire reconnaître nos métiers, restons unis face à la crise et parlons d’une même voix ».
Régis Lebrun, viande bovine et ovins. « L’objectif de notre travail, c’est gagner notre vie ».
Régis Lebrun fait ses comptes : les trois productions de son exploitation (85 hectares en EARL à La Poitevinière) sont à la peine. « Il ne faut pas compter faire de marge sur le troupeau ovin, et ce malgré les aides ». Et c’est à regret qu’il envisage de réduire cette production transmise de génération en génération : les brebis, « c’est 12 % de la marge brute et près de 50 % du travail, ce n’est plus possible ». Pour les céréales, dont 15 des 20 hectares sont en culture de vente, la chute des cours s’ajoute à la hausse des intrants, non soumise, elle, au cours mondial. Pour les bovins enfin (un troupeau de charolais, renouvellement génisses et engraissement 100 %), « les cours diminuent encore cette année de 10 % mais les charges se maintiennent voire augmentent, y compris des dépenses obligatoires comme la FCO qui n’est pas prise en charge », dénonce-t-il. La Pac 2013 tiendra-t-elle compte du rôle de l’élevage dans l’aménagement du territoire et l’environnement ? Régis Lebrun veut rester optimiste. « Ce serait normal qu’on soit soutenu ».
Patrice Guyon, Brion. « Faire face aux engagements ».
Au Gaec de la petite Mothaye, à Brion (125 hectares, 415 000 litres de lait), les deux associés et le salarié qui prépare son installation tentent, tant bien que mal, de résister à la crise. « L’augmentation des coûts du fuel, de l’amonitrate, des phytos, des aliments et la chute du prix du lait nous ont vraiment plombé les comptes », calcule Patrice Guyon. Le Gaec doit aussi absorber le coût de la mise aux normes. « Si la banque pouvait reporter quelques annuités en fin de tableau, ça aiderait », pense-t-il. « On pensait que 2008 était le début d’une bonne période ; on y croyait et on a investi ».
Investissements récents, hausse des achats, chute du chiffre d’affaires, Patrice Guyon prévoit une baisse de l’EBE de l’ordre de 20 000 euros. « On va diminuer nos prélèvements, ouvrir des crédits, faire attendre les fournisseurs. J’espère une amélioration au deuxième semestre 2010 », relate l’éleveur. « J’ai toujours la même passion, je ne veux pas arrêter, mais il faut gagner de l’argent pour pouvoir vivre et faire vivre ma famille »
Témoignages recueillis
par S.H. ET M.L.-R.