Bio ou pas, la viande reste au menu
Intervenant à l’occasion des 20 ans de la ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou, le sociologue Eric Birlouez s’est voulu rassurant : non, les Français n’ont pas l’intention d’arrêter de manger de la viande, même si oui, les habitudes alimentaires continuent de muter.
Pour célébrer un 20ème anniversaire, quoi de mieux qu’un soleil printanier ? Mardi 14 mai, la ferme expérimentale bio de Thorigné-d’Anjou a accueilli plus de 600 personnes - agriculteurs et conseillers à parts égales - lors d'une journée portes ouvertes.Les visiteurs ont fait leur miel des nombreux ateliers techniques et conférences proposés par la Chambre d'agriculture des Pays-de-la-Loire.
En clôture de la journée, dans le grand hangar d’hivernage, le sociologue et historien de l’alimentation Eric Birlouez est venu apporter des éléments de réponse à cette interrogation : quelle place pour la viande bovine bio dans la société de demain ?
Selon le Centre de recherche sur les conditions de vie (Crédoc), en 2018 les trois-quarts des Français estiment que s’alimenter - pas seulement en viande - représente un risque important pour leur santé. Comment en est-on arrivé là ?
« Entre 2006 et 2016, la consommation de produits carnés a chuté de 12 %. Cependant, le déclin n’a pas démarré avec la crise de la vache folle, survenue une décennie plus tôt. A partir du début des années 1950, l’exode rural, le développement du secteur tertiaire et du salariat ont urbanisé les rythmes de vie. La pénibilité du travail a diminué - même en agriculture. Progressivement, on va passer d’une alimentation carburant, centrée sur l’apport énergétique et la force physique, à une alimentation tournée vers l’éthique », analyse l'universitaire.
D’autant qu’en parallèle, le « système alimentaire », autrement dit l’organisation sociale de production, de distribution et de consommation de la nourriture, s’est complexifiée jusqu’à se muer en « boîte noire ». « Alors que les intermédiaires se sont multipliés, le public ne visite que rarement les usines, les entrepôts, ou même les fermes », remarque Eric Birlouez. Une présumée « culture du secret » est pointée du doigt. Industrie agro-alimentaire, industrie à fantasmes.
Les inquiétudes des consommateurs vis-à-vis du contenu de leur assiette ont donc considérablement grandi en l’espace de 60 ans, même si par instinct de conservation, « l’homme a étoujours été exigeant sur ce qu’il ingère », tempère Eric Birlouez. Dans les années 1980, déjà, les Français font le lien entre sécurité sanitaire et nourriture. Plus tard, ils voudront connaître « l’origine » du produit, s’enquérir de sa « naturalité » (par opposition aux artifices imputés à l’agro-alimentaire), et pour finir acheter « local », voire « équitable » par solidarité avec les producteurs. Le lait équitable, par exemple, culmine désormais à 10 % de parts de marché.
D’où l’émergence récente des fameuses « tribus alimentaires » : végétariens, végétaliens, flexitariens, locavores, etc. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. « Ces nouveaux modes d’alimentation touchent aujourd’hui 21 % de la population. Dont 3,5 % qui se disent végétariens, et moins de 0,5 % vegétaliens ou vegans », illustre Eric Birlouez.
Bref, les Français ont besoin de se rassurer sur ce qu’ils mettent dans leur bouche. Nul doute que de ce point de vue, le bio semble cocher toutes les cases. « Pour une majorité de nos concitoyens, manger naturel et sain égale manger bio ; bien que scientifiquement cela reste difficile à prouver... », objecte le sociologue. En 2018 , un quart des 18-24 ans ont rempli leur panier avec du bio, et la consommation de viande bio a gagné 15 points en 4 ans. Plus généralement, d’ailleurs, Eric Birlouez signale que 96 % du dernier panel Interbev déclare acheter de la viande ou du poisson, et souhaite continuer à le faire. Mais de façon responsable et de plus en plus diversifiée.
« Attention à ne pas ériger le bio en totem ! », avertit néanmoins le sociologue. De fait, la filière est de plus en plus critiquée. Durable, le bio ? « Certaines grosses exploitations du sud de l’Italie sous-payent leurs salariés » , évoque Eric Birlouez. Neutre à l’égard de l’environnement, le bio ? « Et la contamination du sol par les traitements à base de cuivre et de soufre, notamment en viticulture ? » Sans parler du piètre bilan carbone des productions bio importées... Reste que la tendance à redonner du sens à ce que l’on mange, elle, est irréversible.