A Cuba, le cigare fait un tabac
Alors que les relations diplomatiques entre Cuba et les états-Unis reprennent, reportage dans le premier pays producteur de cigares, sous embargo américain depuis 1962.
Précieux cigares de Cuba. Les Cohiba. Réputés dans le monde entier. Précieux, car ils constituent, avec le tourisme, une des ressources principales de l’île. On estime que 300 millions de cigares sont produits chaque année, pour un chiffre d’affaires de 447 millions de dollars en 2013 (source Habanos SA) ; sous 26 marques. Les seuls cigares authentifiés cubains sont labellisés – et bagués.
En ville, dans les villages, des fabriques rassemblent les salariés installés derrière des tables juchées de pressoir. Ils travaillent 8 heures par jour, 44 heures par semaine en moyenne, entretenus trois fois par jour par une lectrice qui leur donnera, le matin, des nouvelles sur les événements familiaux, fêtera les anniversaires, lira les journaux. En début et en cours d’après-midi, ils écouteront, pendant une demi-heure, un roman choisi par une commission. La main-d’œuvre dans les fabriques s’est féminisée après la Révolution – auparavant les femmes étaient au foyer. La Confédération des femmes cubaines, la FMC, veille pour qu’elles aient accès aux études, au travail. La fabrication de cigares constitue un débouché pour bon nombre d’entre elles. Les salariés, les torcedores, sont classés selon trois catégories. La formation est assurée en interne par un contrat d’apprentissage rémunéré, d’une durée de 9 mois. Peu d’information sur les rémunérations, si ce n’est que le salaire minimum est de 225 pesos cubains/mois, soit environ 20 euros, mais qu’à cette somme s’ajoutent des primes en fonction de la production. Le contexte économique difficile a conduit le gouvernement à repousser la retraite de cinq ans : à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes. Une réforme qui n’a suscité, nous assure-t-on, aucune contestation.
Sous le contrôle de l’état
Chaque travailleur a droit à 4 cigares par jour. Certains et certaines les fument sur leur lieu de travail. D’autres les stockent. à la porte des fabriques, dans la rue, des vendeurs à la sauvette proposent leur marchandise. Le Cubain est pauvre. Mais débrouillard.
55 000 tonnes de tabac, brun, burley, virginie, sont produites sur les terres fertiles. La région de Vieja abajo à l’ouest du pays, est la plus réputée. L’effet terroir, comme pour le vin, joue sur les qualités organoleptiques de la feuille. La production de tabac obéit à des modalités très précises tant du point de vue des pratiques culturales (en plein soleil ou sous abri) que pour leur confection selon que les feuilles iront pour la cape, la sous-cape ou la tripe.
L’économie du tabac est tout entière sous contrôle de l’état. L’approvisionnement se fait auprès des fermes d’état, des coopératives de paysans ou des privés. Le modèle économique cubain a trouvé ses limites, Fidel Castro l’a lui même reconnu, et la libéralisation de l’économie se met petit à petit en marche. L’entreprise privée prend de l’ampleur. Les indépendants sont tenus de livrer 90 % de leur production à l’état qui fixe le prix, libre à eux de valoriser les 10 % restants. C’est ce que fait Enrique, à San Jan y Martinez. Parallèlement à la culture du tabac et la vente de cigares sur place aux touristes, il a développé une offre touristique (repas et bientôt hébergement). “Les 10 % de tabac que je garde me rapportent plus que la vente des 90 % de tabac à l’état”, finira-t-il par reconnaître.
M.L.-R.
Contexte politique
Ordre, vigilance et discipline
C’est un pays sans Mac Do. C’est un pays sans panneaux publicitaires. Seuls fleurissent, le long des routes, sur les murs des usines, au fronton des stades, les effigies de Jose Cori, le père de l’indépendant, de Fidel Castro, de son frère Raoul, de Che Guevara dont le mausolée, à Santa Clara, est un des lieux les plus visités du pays. Les slogans aussi font florès. Ils vantent la révolution, le peuple et incitent à l’unité nationale, au courage, à l’obéissance.
Sous embargo américain depuis 1962
Si les salaires sont très bas, l’instruction est gratuite. Les écoliers et étudiants, jusqu’au lycée, portent un uniforme bleu, vert, rose, selon la classe qu’ils fréquentent. Pas de loyer pour le logement.
également gratuits l’électricité, les soins. La culture est très accessible. Le Cubain est pauvre. Mais il chante et il danse.
L’île est sous embargo américain depuis 1962. Même s’il s’est assoupli, la pénurie se fait sentir. L’alimentation est très aléatoire, en fonction des arrivages, mais certaines denrées ne sont payables qu’en CUC (peso convertible qui vaut 25 fois le peso cubain). Pour se nourrir, essentiellement de riz et d’haricots noirs, le Cubain, et plus encore la Cubaine, échange des tickets de rationnement contre des denrées subventionnées. Et basiques. Autour des villes se développent des périmètres maraîchers. Cuba importe quasiment 80 % de ce qu’elle consomme. 75 % des terres sont en friche et la mécanisation quasiment inexistante, du fait de l’embargo notamment. Le riz constitue un des aliments de base des familles cubaines. Il s’en consomme 700 000 tonnes par an. Il s’en produit 320 000 tonnes, sur 27 000 hectares, pour un rendement de 3 tonnes. Priorité sera à l’augmentation du rendement (objectif 5 tonnes/hectare) plutôt qu’à l’augmentation des surfaces.
L’équipement ménager est lui aussi monnayable en CUC, ainsi il faut compter 200 CUC pour s’acheter une machine à laver. Ce qui est loin d’être accessible au commun des Cubains, ce qui n’empêche pas d’innombrables guirlandes de linge de se dandiner sur les fils tendus dans les jardins et les cours des maisons. Le Cubain est pauvre. Mais propre.
Il est aussi ingénieux. Et instruit. Pour s’en sortir, il opte parfois pour la reconversion. Super Mario, chauffeur d’une belle américaine décapotable de 1953, laquelle perdra une roue sur la route entre Finca la Vigia, où vivait Ernest Hemingway et La Havane, a une formation d’ingénieur informatique. Mais il gagne mieux sa vie en taxitant les touristes nostalgiques.
Car la véritable ressource de Cuba, c’est le touriste.
Il en vient 2,8 millions chaque année, baladés par cars entre grands ensembles hôteliers, plages paradisiaques et sites réputés. Leur classement au patrimoine mondial de l’Unesco permet à l’île d’obtenir des fonds que l’embargo américain empêche d’obtenir par ailleurs. On a le net sentiment que le gouvernement soutiendra plus volontiers son tourisme que son agriculture.
M.L.-R.