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Flambée des prix des matières premières : "La volatilité devient structurelle"

Selon Gautier Le Molgat, consultant associé chez Agritel(1), la production de matières premières agricoles subit toujours plus les conséquences des adversités climatiques.

Aux États-Unis, la sécheresse a fait chuter les rendements de maïs.
Aux États-Unis, la sécheresse a fait chuter les rendements de maïs.
© Marie-Hambeline VINCENT/RÉUSSIR

Les cours des céréales et ceux des oléagineux flambent. Quelles sont les raisons objectives de cette situation ?
Gautier Le Molgat : La première raison vient des États-Unis où sévit une sécheresse terrible qui compromet les récoltes de maïs. Alors que l'on s'attendait à une récolte normale début juin, toutes les estimations successives de rendements de l'USDA ont été revues à la baisse : de 166 boisseaux par acre début juin à 123,4 boisseaux par acre pour la dernière. Le potentiel d'exportation  des États-Unis sera nécessairement amputé. À cela est venu s'ajouter début juillet une remise en cause de la production de  blé de la zone de la Mer noire, de l'Ukraine et de la Russie notamment, à cause ici aussi d'une grave sécheresse. Les Russes, qui sont de gros exportateurs de blé, seront donc moins présents sur le marché international.  L'Europe, qui bénéficie d'une production abondante, devrait retrouver une place de choix sur les marchés tiers.  Quant aux oléagineux, le soja en particulier, il est lui aussi victime de la sécheresse aux États-Unis : la production sera nécessairement moins abondante et donc les disponibilités à l'exportation plus réduites.

Est-on à la veille d'émeutes de la faim ou du moins de crises alimentaires dans certaines parties du monde ?
Même s'ils ont diminué, les stocks mondiaux de blé restent encore importants à 177 millions de tonnes. Ceux des autres céréales également à 152 millions de tonnes. Un élément à prendre en compte et qui va dans le bon sens est la production de riz qui s'annonce abondante, contrairement à 2007 et 2008. La question qui est posée actuellement porte sur le niveau de production de céréales et d'oléagineux de l'Amérique du Sud et du temps qu'il fera : si les conditions météo sont favorables et la production correcte nous échapperons à une crise alimentaire. Sinon...

Cette inquiétude sur la production céréalière et les évènements climatiques est-elle conjoncturelle ou traduit-elle une tension durable sur les marchés ?
La demande alimentaire s'accroît dans le monde à cause de la croissance démographique et de l'élévation du niveau de vie, notamment en Chine et en Inde. À l'opposé, la production a du mal à suivre. Là-dessus se greffent des incidents climatiques et nous observons qu'ils sont de plus en plus fréquents, entraînant des conséquences directes sur la production. Du coup, cette volatilité climatique renforce la volatilité des marchés, qui est devenue  structurelle.

Les opérateurs financiers n'exacerbent-ils pas cette volatilité des prix ?
Effectivement les opérateurs financiers, notamment anglo-saxons,  s'intéressent de plus en plus aux marchés des matières premières agricoles. Ce n'est pas tant leur présence qui pose problème que leur réactivité pour profiter des opportunités de prix. Ils viennent ponctuellement pour profiter de la tendance mais ce ne sont  pas eux qui la font. Pour le moment ils se contentent d'acheter et de vendre des contrats, apportant ainsi des liquidités sur le marché. Et nous avons d'ailleurs besoin d'eux pour fluidifier le marché. La question de leur influence négative se poserait vraiment s'ils détenaient des stocks physiques qui leur permettraient de faire de la rétention.

Les pouvoirs publics sont-ils en mesure d'imposer une certaine transparence aux opérateurs financiers ?
J'observe qu'en matière de suivi des opérateurs l'Europe est en retard, contrairement aux États-Unis qui ont imposé un classement des opérateurs, professionnels, investisseurs... qui interviennent sur les marchés. Et malgré les annonces de Michel Barnier, le commissaire européen en charge du dossier à Bruxelles, d'aller vers davantage de transparence, je ne vois rien venir.

Le G20 s'est prononcé en faveur d'une régulation des marchés à l'échelle internationale. N'est-ce pas un voeu pieux ?
Il est important que les chefs d'États et de gouvernements s'intéressent à l'évolution des marchés des matières premières agricoles à l'échelle mondiale. L'inflation sur les produits alimentaires peut dégénérer en crise économique et provoquer de graves problèmes sociaux, voire des migrations de population. Le système d'infor-mation sur les marchés agricoles "Amis" qui a été mis en place par le G20 va dans le bon sens. Ceci étant, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Je préférerais que le G20 s'intéresse aux moyens à mettre en oeuvre pour développer la production dans les différents pays du monde, afin d'assurer un niveau d'offre suffisant.

Faut-il remettre en cause la production d'éthanol aux États-Unis comme le suggère le directeur de la FAO ?
La production d'éthanol relève d'initiatives privées. Si l'on supprime la production d'éthanol, quid des usines et du sort de ceux qui y travaillent ? D'une certaine manière, la production d'éthanol a permis de contenir le prix du pétrole et de soutenir la croissance économique. On oublie de dire aussi que la production d'éthanol entraîne la production de co-produits riches en protéines qui sont bien valorisés en alimentation animale. En revanche, est-ce nécessaire de maintenir la défiscalisation pour rendre le produit attractif ? La question est posée.

Précisément, c'est bien le secteur de l'élevage qui souffre le plus de la flambée du prix des matières premières...
Il est clair que les filières porcs et volailles souffrent actuellement, dans la mesure où elles ne peuvent répercuter la hausse de leur coût de production. Nous devrons trouver les moyens d'indexer le prix de la viande sur le prix de l'aliment. Nous estimons chez Agritel que la notion de contractualisation entre les différents maillons de la filière n'est pas une mauvaise idée. On commence à la pratiquer dans la filière céréalière. Il faut l'étendre à l'aval et la grande distribution doit faire un effort dans ce sens. Quoi qu'il en soit, les outils de gestion de la volatilité des marchés qui existent actuellement ne sont pas suffisamment utilisés et souvent décriés. Il est de notre devoir d'informer et de sensibiliser les professionnels à leur utilité et de leur intérêt pour la couverture des risques. Les professionnels doivent être à l'affût des anticipations de marché et mettre en place les stratégies correspondantes.

La flambée du prix des matières premières agricoles ne remet-elle pas en cause notre mode de consommation à base de viande ?
Il faut reconnaître que la viande n'est pas très chère actuellement, notamment celles de porc et de volaille. Le consommateur doit accepter de payer un prix plus élevé. Si cela se traduit par une baisse de consommation, il faut en prendre acte. Je ne serai pas surpris que certains produits aujourd'hui courants, comme la viande bovine, soit d'ici une trentaine d'années réservés à un marché de niche pour des consommateurs aisés, mais du coup, beaucoup plus ouvert à l'international. Le marché répond à des attentes. La qualité des produits français pourra être de plus en plus plébiscitée à l'export, d'autant plus si elle ne trouve pas de marché sur le territoire.

 

RECUEILLI PAR ACTUAGRI


(1) Agritel est une société de conseil indépendante, experte dans les marchés européens de l'agri-industrie  créée en 2000. Agritel apporte les outils, les connaissances et le savoir-faire utilisés depuis plusieurs décennies dans le monde de la finance en matière de gestion des risques et de couverture pour le secteur confronté à une volatilité des prix croissante.
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