Le "en même temps", le monde agricole ne peut pas
C'est un peu désabusés que les responsables professionnels des filières fruits et légumes ont décrit la situation de leurs filières, entre espoirs dans les intentions politiques affichées par le ministre et désillusions dans les actes concrets.
Alors que le ministre de l'agriculture Marc Fesneau venait à peine de quitter le SIVAL (lire page 3), les élus de la FNSEA, Légumes de France et de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) donnaient une conférence de presse pour décrire la situation actuelle vécue par les producteurs de ces filières sur le terrain. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la situation décrite n'est pas des plus réjouissantes. "On est dans un contexte économique libéral où notre propre pays, la France, édicte des règles de plus en plus violentes à l'encontre des producteurs" attaquait ainsi la présidente de la FNPF, la tarn-et-garonnaise Françoise Roch, citant pêle-mêle des contraintes "100 % françaises" telles que le plan pollinisateurs, la sortie des néonicotinoïdes ou encore les zones de non traitement. Un an après la sortie du plan de souveraineté fruits et légumes qui vise à de regagner 5 points de souveraineté d'ici à 2030, "la montagne a accouché d'une souris, renchérit-elle. On est passé à côté de l'essentiel comme la lutte contre le gel, la grêle...".
Les producteurs pas associés
Même son de cloche du côté des maraîchers, représentés par le maraicher nantais Cyril Pogu, qui regrette notamment "de ne pas avoir eu de regard sur la liste des équipements" qui vont être subventionnés dans le cadre de ce plan, certains n'ayant pour lui "pas d'effet levier" dans la transition agro-écologique souhaitée par le Gouvernement. Et ce dernier de citer par exemple l'absence dans la liste des serres en verre. "C'est incompréhensible car on est pourtant en plein dans les solutions de décarbonation, de maîtrise des conditions climatiques, de l'irrigation, et de la pression des ravageurs...".
Et le maraicher de pointer une nouvelle aberration franco-française avec la loi AJEC sur l'utilisation des plastiques, dont un décret pris en juin 2023 permettant d'exclure les fruits et légumes "sensible" a été abrogé par l'Union Européenne en fin d'année. Une instabilité réglementaire en France couplée à une absence de réglementation officielle en Europe, qui est un nouvel exemple éclatant des distorsions que peuvent subir nos producteurs, qui investissent à l'aveugle dans ces réglementations. "On nous a fait investir dans des machines de conditionnement carton, illustre Cyril Pogu, mais si ça se trouve, demain on nous orientera vers la cellulose, et nos machines pourront aller directement à la poubelle !". Et pendant ce temps là, les autres producteurs européens peuvent allègrement continuer à utiliser le plastique.
Etendre le TODE à tous
Autre grande thématique à la mode, l'emploi et la compétitivité de l'emploi. Outre la reconnaissance "métiers en tension", les responsables professionnels réclament l'extension du dispositif d'allégement social, dit "TODE" aujourd'hui réservé au personnel saisonnier, à l'ensemble des salariés du secteur. "Ce serait un vrai levier de compétitivité" lance Cyril Pogu.
Décalage entre les discours et les actes
Si malgré l'ensemble des points critiques abordés, tous se félicitaient de la reconduction de Marc Fesneau au ministère de l'agriculture, "en homme qui connait bien ses dossiers et porte la voix des agriculteurs", cela ne semble pas leur suffire, car tous faisaient le constat d'un décalage flagrant entre les intentions affichées et les actes concrets sur le terrain. "Le en même temps, le monde agricole ne peut pas" lançait ainsi Françoise Roch, tant il est vrai qu'afficher des ambitions de reconquête de souveraineté alimentaire tout en ne s'alignant pas, en même temps, au socle de réglementations européennes, se traduit par une tendance de fond, rappelée par le vice-président de la FNSEA, l'alsacien Franck Sander : "en 20 ans, c'est -4,2% de production en légumes en France quand on a augmenté nos importations de +34%. En fruits, c'est -21% de production et +42% d'import". Et ce dernier de critiquer le fait pour le Gouvernement d'avoir "tout misé sur la montée en gamme. C'est OK pour le faire partout où on le peut, mais à condition de rester compétitif et d'avoir un marché en face".
Autre explication, celle du "millefeuille administratif". "Entre l'impulsion donnée par le politique et son application sur le terrain, la bonne idée va passer par tout un tas de services et se heurter à des réglementations diverses et variées qui fait qu'on final aucun projet ne voit le jour, ou alors avec des délais incompatibles avec l'économie". Confère sur ce point la réalisation de nouvelles réserves pour l'irrigation, qu'Emmanuel Macron ambitionnait en 2023 lors de la présentation de son plan eau, et l'absence de projets concrets sur le terrain. Gageons que le "choc de simplification" que le président Macron appelait de ses vœux mardi soir pourra répondre au marasme réglementaire dans lequel ces filières se sentent engluées.