Interview
Le ministre de l’Agriculture attendu par les producteurs de légumes
Angélique Delahaye, présidente de Légumes de France attend des réponses concrètes des pouvoirs publics sur l’allégement du coût du travail, l’indemnisation de la crise…
Quels seront les thèmes du congrès annuel les 9 et 10 novembre à Lyon ?
Angélique Delahaye : Nous avons envie de faire s’exprimer nos légumes et de mettre en avant nos produits vis-à-vis des consommateurs. Plus exactement, notre filière fonctionne à l’achat et pas à la vente. Si les producteurs ne se préoccupent pas de communiquer, tant auprès des consommateurs que de la société, par médias et responsables politiques interposés, personne ne le fera pour eux et à leur profit.
Nous allons réfléchir aussi à notre syndicalisme et surtout sur la façon de concevoir notre défense professionnelle. Il y a un décalage entre le syndicalisme de nos parents et des attentes des entreprises aujourd’hui. On ne peut pas faire du syndicalisme comme avant, car les entreprises emploient beaucoup plus de main-d’œuvre et le coût du travail est une charge incompressible.
Précisément considérez-vous que l’allègement du coût du travail d’un euro sur un salarié payé au Smic est suffisant pour rétablir la compétitivité des entreprises légumières ?
La mécanique qui se met en place bénéficiera très peu à la filière légumière. Dans notre secteur nous avons très peu de salariés au Smic. Au moins 50 % d’entre eux se situent entre 1,2 et 1,4 voire entre 1,3 et 1,4 Smic. Ce qui signifie qu’avec la dégressivité annoncée entre 1,1 et 1,4 Smic, il ne restera pas grand-chose. Cela s’explique par les conventions collectives dans notre secteur et aussi par le fait que la plupart des salariés étant restés aux 39 heures, les heures entre 35 et 39 sont majorées de 25 %. Cette annonce d’un allègement d’un euro est une vraie désillusion pour les producteurs de légumes.
Vous avez manifesté à Paris le 23 septembre pour déplorer l’insuffisance du plan de soutien du ministre de l’Agriculture. Y a-t-il eu des avancées depuis ?
Je suis bien obligée de dire que rien n’a bougé depuis. Et nous sommes d’autant plus en colère que l’engagement du ministre d’une “indemnisation à l’euro près” de la crise de l’Escherichia coli est restée lettre morte (voir ci-dessous).
Allez-vous interpeller le ministre sur d’autres dossiers ?
Bruno Le Maire sera interrogé sur la Loi de modernisation agricole et la contractualisation. À Légumes de France, on a cru que la contractualisation était une voie possible pour sécuriser le revenu des producteurs. Au vu des décrets qui ont été signés, elle est inapplicable. La contractualisation ne s’applique qu’entre le producteur et son premier acheteur et non à toute la filière, ce qui place celui-ci dans une situation intenable. Par ailleurs, la LMA a supprimé les ristournes mais certains les rhabillent en fausse coopération commerciale.
Comment avez–vous accueilli les propositions de Dacian Ciolos sur la réforme de la Pac ?
Tout d’abord, il faut souligner le grand écart de la Commission européenne entre soutien à une agriculture “verdie” et ouverture sans limites du marché européen aux productions des pays tiers. Pourquoi importer des tomates du Maroc et épuiser leur réserve d’eau ? Pour produire 1 kilo de tomate, il faut 100 litres d’eau au Maroc et 12 en France.
Quant aux propositions de la Commission, il faudra les juger dans les détails, mais la production de légumes doit y être pleinement prise en compte en particulier dans les mesures de gestion des risques, d’aide à la modernisation ou encore les mesures agro-environnementales qui doivent pouvoir concerner tous les producteurs.
Et sur l’organisation des marchés et la gestion des crises ?
Notre secteur bénéficie de dispositions spécifiques dans l’OCM unique. Il faut certainement conserver ces dispositions d’appui à l’organisation des producteurs sur le marché. Il faudra les compléter par une adaptation du droit de la concurrence pour permettre une meilleure organisation entre OP et producteurs indépendants. Quant à la gestion des crises, les retraits ont été quasiment abandonnés lors des dernières réformes de l’OCM et les dispositifs actuels basés sur un prix de retrait européen nous sont très défavorables.
Actuagri
Les Assises des fruits et légumes
Les leçons de la crise de l’E. coli
“La gestion de la crise a été épouvantable en Allemagne et dans l’Union européenne. On n’a pas encore réussi à rétablir une situation satisfaisante”, déplore Pierre Diot, président de l’AOP nationale “Tomates et concombres de France”. Accusé au départ d’être porteur d’une souche très virulente d’Escherichia coli, le concombre a été mis hors de cause quand les autorités sanitaires allemandes ont découvert quelques jours plus tard que la bactérie tueuse avait contaminé des graines germées. Entre temps, le mal a été fait : les consommateurs se sont détournés massivement du concombre, les cours se sont effondrés et la crise s’est étendue à la tomate. Première leçon donc : l’absolue nécessité de livrer des informations vérifiées aux médias.
Ce que n’ont pas fait hélas les Allemands. La France n’est pas épargnée : “Le gouvernement a été frileux pour dédouaner les produits français”, estime pour sa part Jacques Rouchaussé, secrétaire général de Légumes de France.
Les professionnels sont très remontés contre Bruxelles et son dispositif d’indemnisation de la crise. Sur l’enveloppe de 227 millions d’euros qui a été débloquée, 1,6 million seulement est réservé à la France, alors que la Pologne en a reçu 46 millions.
Quant au plan de relance de la consommation, il ne sera opérationnel que lorsque la campagne sera terminée, ce qui veut dire qu’elle bénéficiera aux importations marocaines et autres…