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Interview
Ursula von der Leyen doit afficher son ambition pour l'agriculture

Christiane Lambert quittera la présidence du Copa* au terme de 4 ans de mandat le 27 septembre prochain. Alors que le nouveau Parlement européen se met en place, elle compte bien pousser les dossiers agricoles jusqu'au bout.

Christiane Lambert, présidente du Copa.
Christiane Lambert, présidente du Copa.

Alors que les nouveaux eurodéputés ont officiellement pris leurs fonctions cette semaine au Parlement européen, comment analysez-vous les rapports de forces politiques en présence aujourd'hui ?

Ce qui est marquant, c'est que dans beaucoup de pays européens, ce sont les partis d'opposition aux gouvernements en place qui ont percé. Cela traduit un grand malaise, un mal-être, et pas qu'en France. Indéniablement, le scrutin a été marqué par les manifestations des agriculteurs. Les gens se sont retrouvés dans le discours sur le tsunami des normes, dont tout le monde se plaint. Et donc beaucoup ont exprimé leur ressenti. Malgré tout, le nouveau parlement est assez stable parce que le PPE reste majoritaire (NDLR: groupe du centre doit européen). Le problème, c'est que nous n'avons pas beaucoup d'élus français dans ce groupe pour faire peser la voix de la France. Ce qui est également marquant dans ces élections, c'est le recul des verts et bien sûr, le fait qu'il y ait plus d'eurodéputés nationalistes. Ils constituent globalement la 3e force politique. Or quand on juxtapose des gens qui pensent nation et "mon pays d'abord", est-ce que cela va être positif pour la construction européenne ? J'en doute. Or la construction européenne, c'est avant tout la nécessité du consensus à 27. L'Europe, ce n'est pas "tout, tout de suite", c'est "on discute, on compose et on avance". D'ailleurs, notre pays ferait bien de s'en inspirer, face au blocage politique que nous vivons actuellement.

Le recul des verts signe-t-il la fin du Green Deal ?

Non, ce n'est pas la fin du Green Deal. En revanche j'espère que c'est la fin de ce Green Deal là, une orientation qui avait été imaginée en 2018 avant le covid et la guerre en Ukraine. Depuis, le monde a changé. Il faut donc changer le logiciel, et porter une autre vision. Car malgré tout, la planète se réchauffe quoi qu'on en dise, et les événements climatiques nous rappellent à l'ordre tous les jours. Sur le climat, l'agriculture est partiellement responsable, extrêmement victime, mais bonne nouvelle également source de solutions. Nous devons donc travailler sur ces transitions, tout en faisant remonter au dessus de la pile la priorité pour la sécurité alimentaire de l'Europe. Et de ce côté là, les choses bougent : les gouvernements commencent à prendre conscience de la réalité crue. Beaucoup pensent même à des politiques nationales renforcées pour soutenir leur agriculture. En juin, lors du dernier conseil des ministres, la présidence belge a d'ailleurs mis un point d'honneur à sortir un texte très ambitieux, pour une agriculture compétitive, dynamique, qui affirme l'acte de production, le soutien à l'élevage, aux innovations, à la modernisation, poumon de la ruralité... Même la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, a fini par changer de discours. Le 13 septembre dernier, elle a dit qu'il fallait sortir des oppositions entre agriculture et environnement, et réconcilier l'agriculture et la nature. Enfin ! Il était temps ! Ce changement de ton concernant la première politique européenne en terme de budget, est arrivé au bout de sa 4e année de mandat ! C'est juste à la fin qu'elle a pris conscience de l'importance de l'agriculture. Le Covid, la guerre et les protestations agricoles lui ont ouvert les yeux.

Et depuis, vous avez quand même réussi à inverser la vapeur sur un certain nombre de dossiers stratégiques, comme la PAC...

Tout à fait. Cette PAC, qui avait été finalisée sous cette emprise Green Deal dans une approche très descendante et autoritaire de la part de Frans Timmermans a été l'un des éléments déclencheurs, en 2023, de la colère des agriculteurs dans toute l'Europe. En Allemagne par exemple, les écorégimes ont été construits de manière tellement exigeante que 39% des agriculteurs ne peuvent pas y accéder... Ces derniers mois nous avons donc obtenu des ajustements réalistes qui étaient indispensables, comme sur la directive pesticides qui a été stoppée et qui ne reviendra pas en l'état.

Quelle va être la feuille de route de votre organisation, le Copa, dans le cadre de cette nouvelle mandature européenne ?

Notre gros chantier du moment, c'est l'entame du mandat d'Ursula von der Leyen, qui doit s'exprimer cette semaine dans un discours sur l'état de l'Union. Nous lui avons d'ailleurs adressé une lettre ouverte pour lui dire qu'il serait aujourd'hui impensable qu'elle n'ait pas des mots forts pour tracer une ambition pour l'agriculture européenne. Ce qu'on demande, c'est d'avoir un commissaire à l'agriculture plus fort, c'est-à-dire mieux positionné dans la gouvernance en étant 1er vice-président de la Commission, puisqu'aujourd'hui alimentation et transition sont deux postes stratégiques. Nous voulons également un budget dédié à l'agriculture. Or l'inquiétude aujourd'hui, c'est l'idée d'Ursula von der Leyen d'un grand budget général, où l'on puiserait par priorité. Et à ce jeu là, pour l'instant la priorité, c'est la défense, et après on voit ce qui reste... Nous sommes évidemment en désaccord avec cela. Nous sommes au contraire très attachés à un budget agricole garanti, avec un cadre financier pluriannuel. Et même au delà, il va aussi falloir l'augmenter, ce budget, en raison de l'inflation bien sûr, mais aussi et surtout pour financer les transitions que les agriculteurs sont invités à faire. Or tous les jours on nous dit que les consommateurs ne peuvent pas payer plus cher leur alimentation, donc qui va financer ces transitions si ce n'est la puissance publique ?

L'idée d'un EGAlim européen, évoquée par Emmanuel Macron, progresse-t-elle en Europe ?

Si j'ai un conseil à donner, c'est déjà de ne pas l'appeler EGAlim, c'est le chauvinisme poussé à l'extrême... Depuis 2019, il y a des textes européens sur la chaine alimentaire, qui permettent de lutter contre les pratiques déloyales, sur lesquels la France s'est appuyée pour écrire ses lois alimentation. Donc c'est possible. Mais au niveau de Bruxelles, j'ai en face de moi la même opposition que j'avais en France avec les distributeurs et certains industriels. C'est redoutable ! Nous avons dû durement batailler pour faire inscrire dans les textes l'idée de "prévenir la vente en dessous des couts de production". Ce qui est quand même intéressant, c'est que le Conseil des ministres et le Commissaire à l'agriculture ont pris position pour dire qu'il fallait plus de transparence, avec un observatoire des prix et des marges par pays et par secteur. Donc ça avance. Doucement... 

Vous êtes quand même optimiste ?

Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. Je suis déterminée, et je bosse ! Tout comme le Copa-Cogeca travaille dans le groupe "dialogue stratégique" avec les autres parties prenantes, les consommateurs et les ONG, pour qu'ils entendent davantage la voix et les aspirations de ceux qui sont à la base de l'alimentation, les agriculteurs. En juillet-août nous avons encore huit réunions et une dizaine en bilatérales pour essayer de trouver des consensus sur la manière de réconcilier agriculture et environnement. Et les conclusions de ce dialogue stratégique vont guider les orientations d'Ursula von der Leyen. Donc oui, nous sommes au travail, jusqu'au bout !

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