Syndical
Interprofessions : la FNSEA favorable à l’ouverture aux syndicats minoritaires
La FNSEA s’est prononcée, le 24 février, en faveur de l’entrée des syndicats représentatifs minoritaires au sein des interprofessions.
Pour la première fois, le conseil d’administration de la FNSEA a donné son accord, le 24 février, à l’ouverture des interprofessions aux syndicats minoritaires. La décision a été acquise à une large majorité de 59 voix pour, 3 abstentions et un vote contre. Devant la presse, Xavier Beulin a présenté les raisons pour lesquelles il estimait que la position de la FNSEA devait évoluer. D’abord, c’est la décision du Conseil constitutionnel qui a confirmé le caractère privé des interprofessions et validé les cotisations volontaires obligatoires, qui a été l’élément déclencheur. Surtout, estime-t-il, l’évolution de l’environnement de la politique agricole oblige notamment à se poser de nouvelles questions, notamment par rapport au désengagement des pouvoirs publics qu’ils soient nationaux ou communautaires. “L’affaiblissement de la Pac donne de nouvelles responsabilités aux acteurs privés” et aux filières en particulier, juge-t-il. “On ne peut continuer à gérer les dispositifs agricoles comme avant si la puissance publique se désengage”, précise-t-il, qu’ils s’agissent des mécanismes assurantiels ou de gestion des marchés et des risques.
Familles et collèges
D’ailleurs des évolutions en ce sens ont été observées récemment et notamment en 2011. Il y a eu l’accord du 3 mai dernier qui oblige les grandes surfaces à revenir à la table des négociations quand le prix des matières premières affiche de fortes amplitudes. Un autre accord signé au mois de juin entre les filières végétales et animales préconise l’établissement de relations contractuelles pour lutter contre la volatilité des prix. Sans parler du lait où l’après quota oblige à réfléchir à la mise en place de nouvelles relations entre producteurs et entreprises basées sur des accords contractuels entre orga-nisations de producteurs et entreprises. Bref, “toutes ces évolutions nous renvoient à des mécanismes interprofessionnels”, observe Xavier Beulin qui estime par ailleurs que la situation économique et financière oblige “l’agriculture à serrer les rangs” pour faire gagner la “ferme” France, plutôt que de se disperser dans des querelles inutiles.
En outre, poursuit le président de la FNSEA, “la Loi de modernisation agricole a prévu un nouveau fonctionnement des interprofessions. Celui-ci ne serait plus basé sur l’accord unanime des familles professionnelles, mais sur celui des collèges : production, première mise en marché, transformation, distribution. Le collège production pourrait accueillir les syndicats minoritaires.
Reste que la proposition de la FNSEA ne revêt aucun caractère obligatoire. Il appartiendra aux syndicats minoritaires de demander leur adhésion aux interprofessions dans le respect de leurs règles de fonctionnement. La balle est désormais dans le camp des interprofessions, ce sont à elles “de mettre en musique” la nouvelle ouverture affichée par la FNSEA.
ACTUAGRI
INTERVIEW de Christiane lambert*
“Serrer les rangs pour construire ensemble”
Le conseil de la FNSEA a voté à une large majorité pour l’entrée des syndicats minoritaires représentatifs au sein des interprofessions. C’est une évolution forte. Comment l’expliquez-vous ?
C’est effectivement une évolution importante et cohérente. Elle est en germe dans notre rapport d’orientation de 2008 sur l’organisation économique, et renforcée dans notre rapport de 2011 sur la croissance durable de nos exploitations et les leviers pour retrouver de la compétitivité.
Ce qui anime la FNSEA et qui est très clair dans ces deux rapports structurants pour notre organisation, c’est la conviction lucide qu’aucune législation nationale ou communautaire n’a les moyens de réguler des marchés ouverts et internationalisés. Cette analyse ne dédouane pas la puissance publique française ou européenne de sa responsabilité. Celle-ci doit en effet fixer un cadre législatif souple qui permet ensuite à des acteurs économiques volontaires de construire une forme de “Co-régulation” fixant des règles collectives favorables à la compétitivité de tous les maillons d’une filière. Deux décisions majeures créent les conditions de ce cadre juridique, responsabilisant les acteurs d’une filière. Il s’agit, d’une part, de la décision du conseil constitutionnel jugeant conforme le prélèvement de cotisations rendues obligatoires (CVO) et confirmant le statut privé des interprofessions, et d’autre part, de l’intégration de la notion d’interprofession dans le droit européen que vient d’adopter le Parlement européen avec le “mini paquet-lait”. Celui-ci valide en effet les interprofessions, la contractualisation, l’organisation de producteurs.
Pourquoi dès lors ouvrir les interprofessions ?
Sur le plan économique, ce qui caractérise le contexte, c’est l’affaiblissement de la capacité de l’État à intervenir. D’une part, parce que l’ouverture des marchés et de la mise en compétitivité des grands bassins de production est implacable ; d’autre part, parce que la situation budgétaire affaiblit chaque jour sa capacité d’action. La régulation privée est donc nécessaire. Elle comporte des avantages et des faiblesses. Sans angélisme, dans un monde économique très dur, nous croyons à la suprématie de ses avantages sur ses inconvénients. Quels sont les avantages de la régulation entre acteurs privés ? J’en vois plusieurs :
- la régulation interprofessionnelle est une réponse à l’instabilité des prix et des revenus, et c’est encore plus vrai dans la perspective d’une Pac construite sur le dogme du “tout marché” ;
- les acteurs des filières ont intérêt à construire des relations matures et partenariales pour progresser ensemble sur des sujets comme l’adéquation offre-demande, la segmentation, la promotion, la recherche, l’innovation... ;
- Déjà, plusieurs projets portés ainsi en coresponsabilité portent leurs fruits. S’il avait fallu attendre un cadre législatif, nous n’aurions pas avancé comme nous l’avons fait avec l’accord du 3 mai sur la renégociation des prix avec la distribution, sur l’accord céréaliers-fabricants d’aliment, sur la constitution d’un fond de mutualisation des risques sanitaires ouvert à l’ensemble des syndicats représentatifs.
Alors pourquoi cette nouvelle étape ?
Le défi le plus important lancé à la régulation privée est de trouver en elle-même les moyens de garantir l’acceptabilité démocratique des règles collectives qu’elle édicte. Fixer des règles qui s’imposent à tous et les faire respecter constitue une forme de pouvoir qui doit être reconnue. L’agriculture est suffisamment malmenée par les forces indomptables du marché et du climat pour que nous ne nous affaiblissions pas entre nous. Les interprofessions sont une construction d’après-guerre, consolidée dans les années 70, et dont on voit tout l’intérêt qu’elles apportent aujourd’hui. Elles doivent être un lieu de travail concerté et non une tribune syndicale, pour retrouver plus de pouvoir économique par les producteurs. Prendre ses responsabilités, participer à la décision tout en acceptant une position majoritaire. Seule, cette attitude permet de peser dans un rapport de force. Serrer les rangs sans céder à la peur, dans un contexte économique hostile, c’est le sens de cette décision d’ouverture.